Hitler m'a dit
qu’il avait tenus et qui contredisaient formellement ceux que j’avais entendus. Il avait parlé, m’affirmait-on, du danger des « menées réactionnaires », et du danger de « livrer l’armée pieds et poings liés aux généraux ».
Si vraiment Hitler a prononcé de telles paroles, cela prouve qu’il avait, dans l’intervalle, subi l’influence de l’entourage de Roehm, mais aussi que la situation intérieure s’était dangereusement aggravée. Ainsi on lui avait monté la tête, on l’avait réveillé de sa léthargie.
Un peu plus tard, en effet, à l’occasion d’une nouvelle visite, j’ai entendu Hitler parler de nouveau sur ce même sujet : « C’est une folie, disait-il, de vouloir mener des guerres révolutionnaires avec des troupes réactionnaires. » Il s’était adapté, une fois de plus, à l’attitude de son entourage, il abandonnait ses idées pour se faire l’avocat de celles d’autrui. C’est une tactique qui avait sa prédilection, parce qu’elle lui permettait d’éluder des objections gênantes. « Je refuserai mon approbation au plan du service militaire obligatoire. En l’état actuel des choses, le peuple allemand est hors d’état de satisfaire au recrutement massif, qui compromettrait sa capacité de travail productif. »
Sans une éducation nationale-socialiste préalable, expliqua-t-il, l’armement de tous les Allemands sans distinction était une faute criminelle. Il fallait d’abord créer une armée de métier et, pour cette armée, on ne pouvait envisager que des membres des formations du parti, à l’exclusion de tous autres éléments. Si on lui objectait que ces formations n’auraient pas une instruction suffisante, il répondrait que dans la nouvelle armée l’élan révolutionnaire suppléerait avec avantage au dressage militaire, périmé et défunt.
XXVI
PRÉPARATION
DE LA « PURGE »
Qu’était-il arrivé pour qu’Hitler fût ainsi contraint d’adopter les thèses et le langage des extrémistes du parti ? Évidemment la crise s’était aggravée. Des deux factions, l’une devait vaincre, et sans tarder. Mais que voulait exactement Hitler ? Laisserait-il aller les choses ? N’était-il pas l’homme qu’il prétendait être ? Ses dons de chef n’étaient-ils pas au-dessous de l’estimation qu’on en avait faite ? Plus la foi en Hitler grandissait chez les masses, plus les doutes s’accentuaient au sein de la vieille garde révolutionnaire. Était-ce là la révolution nationale-socialiste ?
« Hitler mort servirait mieux le mouvement qu’Hitler vivant » – ce mot dangereux circulait déjà d’une bouche à l’autre. « À la porte le pantin » – s’écriaient les extrémistes. On réclamait la deuxième révolution, la vraie. Hitler n’était que le Précurseur, le saint Jean-Baptiste du mouvement. On attendait le véritable Führer. S’appelait-il Roehm ? De même qu’après Kerenski, la vraie révolution russe n’avait surgi qu’avec Lénine, Hitler n’était-il pas le fourrier, bientôt oublié, de la vraie révolution allemande, qui n’avait pas encore commencé.
Il fallait éliminer Hitler, criaient les uns. Le mettre sous clef, l’arracher aux griffes de son entourage réactionnaire, hurlaient les autres. Au printemps de 1934, tout était remis en question. Le danger de la réaction monte vertigineusement. « Si Adolf n’intervient pas, il est fini », disait-on dans les casernes des S.A. « Adolf est avec nous », criaient ceux que n’avait pas abandonnés tout loyalisme. À ce moment, dans le milieu révolutionnaire des S.A., aucun peut-être des chefs nazis ne comptait aussi peu qu’Adolf Hitler.
Avait-il du moins gardé son prestige auprès de ses amis « réactionnaires » ? J’avais pris la parole, au printemps, dans une association minière d’Essen, devant un groupe de l’industrie lourde. J’avais perçu le profond découragement que leur causait la situation politique. Au cours des conversations, on entendait cette plainte générale : « Il nous conduit à l’abîme. » Un peu plus tard, le général von Brauchitsch, aujourd’hui généralissime, vint à Dantzig. Nous nous rencontrâmes chez le consul général d’Allemagne. Il protesta avec violence contre la politique d’atermoiement. La Wehrmacht, qui ne considérait que l’intérêt de l’État, ne pouvait plus patienter. Elle allait parler haut, exiger une décision.
Hitler était donc isolé,
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