Hitler m'a dit
tout simplement assassinées.
La justification entreprise ensuite par Hitler devant le Reichstag, pour légitimer sa justice sommaire, fait éclater une fausseté et une bassesse insurpassables aussi bien dans le fond que dans les détails. Plus que le crime lui-même ce plaidoyer du juge suprême du peuple allemand fit apparaître comme une abomination ce qu’on Pouvait prendre, à la rigueur, comme un acte de légitime défense. Hitler avait, d’un seul coup, muselé l’opposition dans toute l’Allemagne ; mais il avait déchiré la chair vive de la nation d’une blessure qui n’a cessé de suppurer et de l’empoisonner.
Peu de jours après ce discours au Reichstag, j’ai dû m’adresser à Hitler au sujet d’une affaire quelconque qui concernait Dantzig. En dehors de Forster, Hitler avait convoqué le comte de Schwerin-Krosigk, ministre des Finances et von Neurath, ministre des Affaires étrangères. « Ne tourmentez donc pas cet homme harassé », m’avait conseillé Neurath, qui m’avait déconseillé de voir le Führer. La conférence avait eu lieu tout de même. L’empressement craintif et servile des deux ministres conservateurs prouvait assez qu’Hitler n’était pas sorti vaincu du procès qu’il venait de plaider. Leur attitude rampante dépassait la courtisanerie des anciennes cours monarchiques. Elle ne pouvait s’expliquer que par la crainte du bourreau d’un calife omnipotent.
— « Pour l’amour du ciel, soyez prudent », m’avait conseillé un diplomate de mes amis, à qui j’avais essayé de faire comprendre mes inquiétudes. « Les murs ont des oreilles ». La peur rôdait dans les couloirs de la Wilhelmstrasse. Chacun tremblait dans l’attente de nouveaux attentats, de l’émeute en pleine rue, de coups de feu subitement tirés par la Gestapo. Chaque fois qu’une porte s’ouvrait un peu brusquement, les malheureux diplomates croyaient voir entrer leurs bourreaux, prêts à les exécuter sans mot dire. Ils se sentaient tous complices du même crime, ne fût-ce qu’en pensée, ne fût-ce qu’en vœux inexprimés. Ils s’étaient tous bercés de l’espoir d’être enfin débarrassés de l’homme à la mèche noire et au front bas, qui se curait les dents pendant qu’on lui parlait, qui aboyait subitement comme une brute, qui n’écoutait pas un mot de ce qu’on lui disait et qui donnait des leçons à tout le monde. Ils avaient tous assassiné Hitler dix fois par jour.
Mais depuis le 30 juin l’espoir avait fait place à la peur qui les paralysait. Qu’allait-il advenir de chacun d’eux ? Qu’allait-il advenir de l’Allemagne ? Hitler avait fait savoir, par le truchement de ses intimes, qu’il ne voulait plus jamais entendre la moindre allusion à la disparition de von Schleicher et des autres opposants du clan conservateur et que, si son ordre n’était pas respecte, il donnerait immédiatement le signal de la « deuxième révolution ». Si l’Allemagne était alors déchirée par la guerre civile et désormais incapable d’arrêter l’invasion ennemie, la responsabilité en incomberait à ceux qui l’auraient contraint de se défendre par des moyens désespérés, au lieu de lui laisser le temps nécessaire de tout régler à l’amiable, comme il le souhaitait.
Ce n’étaient plus des rumeurs qui parvenaient à mes oreilles, mais à peine des bégaiements et des murmures. Tout le monde sentait que le 30 juin n’avait pas apporté la solution. Et on n’espérait plus rien du vieux maréchal von Hindenburg, qui vivait à l’écart en Prusse Orientale, somnolant dans son fauteuil et attendant sa fin prochaine. En une nuit, la conjuration des « Allemands-nationaux » avait été dispersée ; ils avaient tous disparu comme des rats dans leurs trous, tous ceux qui, récemment encore, étalaient avec importance des projets pour renverser le régime, se partageaient déjà les portefeuilles et constituaient des tribunaux pour juger les nazis concussionnaires et criminels. Plus personne ne voulait avoir pris part à ces complots. « Ne faites pas votre malheur et le nôtre », m’imploraient des amis de Berlin avec qui, quelques semaines plus tôt, je parlais la reconstruction de l’Allemagne, avec qui, je le dis ouvertement, j’avais conspiré. La plupart de mes relations tenaient leur porte fermée, se cadenassaient, cherchaient à se rendre invisibles ; ceux qui le pouvaient Partaient en voyage, se cachaient ou changeaient
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