Hitler m'a dit
pas.
— « Le droit est un moyen de dominer. Le droit est l’exercice du pouvoir transposé dans un langage juridique. » Dans ce domaine également, il n’était pas un dictateur, mais un architecte. Il était comme ces grands constructeurs de cathédrales qui travaillaient de génération en génération à un édifice immense, qu’ils voyaient grandir selon une loi intérieure qui leur apparaissait comme plus importante que leurs idées personnelles si géniales fussent-elles. « C’est ainsi que je travaille à la construction de la nouvelle Allemagne non pas comme les artistes égoïstes de notre époque dont l’effort reste stérile parce qu’il est individuel, mais comme les pieux constructeurs des grandes églises du moyen âge. »
Hitler débordait d’enthousiasme. Il avait oublié l’objet de notre rencontre : ma justification. « J’ai besoin, s’écria-t-il, de dix années pour mon seul travail de législateur. Le temps presse. Je n’ai pas assez longtemps à vivre. Et avant tout, il me faut mener à bonne fin notre guerre de libération, que je pose les fondations sur lesquelles d’autres, après moi, pourront bâtir. Je ne verrai pas la fin de mon œuvre ! »
Hitler me congédia avec bienveillance. J’étais troublé. La question qui m’intéressait personnellement restait en suspens. Comme je prenais congé, Hitler me donna encore un conseil : « Je voudrais vous mettre en garde contre deux choses. D’abord ne vous acoquinez pas avec les conservateurs-nationaux. Ne leur accordez pas plus d’importance qu’ils n’en méritent. L’époque de ces fossiles est passée. L’ère bourgeoise est close. Ces gens-la sont des fantômes. Ne vous en laissez pas imposer par ce qu’ils appellent leur expérience. Ils ne comprennent rien au nouveau monde qui vient, ni aux lois qui les régissent. Ils ne peuvent plus rien faire d’utile pour personne, ni pour vous ni pour moi. Mondeuxième avis est de vous méfier de cette chose qui s’appelle la Société des Nations et de son représentant à Dantzig. C’est encore là un monde qui agonise. Prenez les embarras que font ces gens pour ce qu’ils valent. C’est du théâtre, qui devient irréel dès qu’après la représentation se retrouve dans la rue. Il faut vous débarrasser de tout respect pour ces vestiges. Alors vous comprendrez le parti et le parti vous comprendra. »
XXXIV
« JAMAIS D’INFLATION
NI DE CARTES DE PAIN ! »
La réalité ne ressemblait guère au tableau qu’avait brossé Hitler. Le parti n’avait ni bienveillance ni désir de comprendre. Il ne voulait pas autre chose que détenir le pouvoir. Chaque membre voulait jouer un rôle et se hausser, coûte que coûte, jusqu’à proximité du soleil. Chacun prenait une attitude avantageuse, espérait se faire remarquer en faisant preuve de cran et d’efficacité pour obtenir de l’avancement. Le maximum de zèle, le minimum de scrupules, telle était la recette pour obtenir faveurs et postes. Quiconque apportait au contraire des objections sérieuses passait pour un gêneur et on le reléguait à l’arrière-plan. Toute l’activité du parti s’épuisait dans la compétition forcenée des extrémistes les plus incompétents. La connaissance des affaires, le souci de la réalité passaient pour des préjugés bourgeois. C’était une zone dangereuse où personne ne voulait plus s’engager, de sorte que les dirigeants, Hitler en tête, n’arrivaient plus à recueillir que des parcelles d’information et de vérité.
À cet égard, dans les plus hautes sphères de Berlin, les choses se passaient exactement comme à Dantzig-En voici un exemple entre mille. Todt, le directeur général des autostrades, rêvait, dès 1934, de construire une autostrade à travers le Corridor polonais. C’était une idée qui avait séduit Hitler. Todt, qui s’exagérait sans doute l’influence que je pouvais avoir à Varsovie me pria d’obtenir l’assentiment de la Pologne à la construction du tronçon situé sur son territoire. Il s’agissait là d’un problème politique de tout premier plan, qu’il n’était pas possible de liquider « en passant », comme Todt se l’imaginait assez naïvement. J’acceptai cependant de sonder le terrain. Quel ne fut pas mon étonnement lorsque, quelques mois plus tard, au cours d’une visite à Hitler, j’appris de la bouche du Führer qu’il avait relie, par une communication nouvelle, la Prusse Orientale avec
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