Hitler m'a dit
le Reich. Une autostrade était en construction, les travaux allaient bon train, bref, Hitler était ravi et tout plein de son nouveau mérite. Je lui demandai où en était la construction du tronçon polonais, car je croyais savoir qu’il y avait eu de ce côté-là des difficultés. Hitler me répondit que tout était arrangé le mieux du monde. Todt avait déjà signé un contrat avec un célèbre ingénieur italien, qui, de son côté, s’était mis d’accord avec le gouvernement polonais. En rentrant à mon hôtel, après l’audience d’Hitler, je trouvai un mot de Todt me priant d’aller lui rendre visite à son bureau du Pariser Platz qui était installé, je crois, dans l’ancien club aristocratique du régiment de la Garde à pied.
Todt me montra ses plans et ses cartes, le réseau gigantesque des routes en construction ou en projet. Puis il me demanda où j’en étais de mes consultations avec le gouvernement polonais et si l’on pouvait espérer que le tronçon en question serait construit. Car, disait-il, le Führer y tenait particulièrement. Je laissai Todt parler et j’acquis l’assurance que rien de ce qu’Hitler m’avait présenté comme une chose déjà faite, n’existait en réalité. Après l’avoir écouté, je le mis à mon tour au courant de ma conversation de la matinée avec Hitler. J’avoue que j’éprouvai un certain plaisir à voir l’embarras mortel de cet important personnage. Il balbutia que ce devait être une erreur, qu’il y avait forcément un malentendu ; après quoi il s’empressa de déguerpir. Ce qui s’était passé était bien simple. Todt muni de ma vague promesse de sonder le terrain auprès du gouvernement polonais, avait fait à Hitler un rapport aussi mirifique que mensonger, sur la foi duquel le Führer avait supposé de bonne foi que tout était réglé et que la route était en construction. Autant que je sache, elle est encore à l’état de projet à l’heure ou j’écris.
Les Ribbentrop de tout acabit opéraient de la même façon en y mettant peut-être un peu plus de raffinement pour se faire valoir et avancer dans leur carrière. Ils faisaient constamment le siège du Führer, lui jetaient de là poudre aux yeux, s’appliquaient à se faire passer pour indispensables. Chacun d’eux s’informait de ce qu’Hitler souhaitait d’entendre, puis tachait d’évincer ses concurrents en apportant au Führer les nouvelles les plus agréables et en reportant sur son propre mente tout le succès, acquis ou probable, qu’il pouvait faire déjà miroiter. Le peuple allemand, qui passait naguère pour le plus consciencieux du monde, a battu sous règne d’Hitler tous les records du mensonge et de la servilité.
Quand la vérité était gênante, on prenait, soin qu’Hitler ne l’apprît jamais. Faisait-il fausse route, on ne manquait pas de le pousser dans le mauvais chemin en multipliant les rapports tendancieux, propres à l’encourager dans son erreur. On minimisait les difficultés, on amplifiait les perspectives favorables. On commençait par de petites retouches dans les détails et on en arrivait à des falsifications flagrantes. On construit tout un système pour éloigner de lui tout ce qui aurait pu l’irriter. Ses accès de colère furieuse effrayaient son entourage au point qu’on faisait n’importe quoi pour ne pas s’y exposer. L’emploi de ces belles méthodes se généralisa non seulement autour d’Hitler, mais aussi des autres chefs.
Dantzig était alors à la veille de la banqueroute. Nous avions besoin de devises pour maintenir la couverture de notre monnaie au niveau prescrit. La Reichsbank lui refusait l’avance nécessaire. Elle se plaignait amèrement qu’à cause de Dantzig, tout le plan de réarmement fut compromis. Le jeune Forster, tout auréolé de la faveur spéciale du Führer, alla trouver le fonctionnaire auquel je m’étais adressé, un homme, par ailleurs parfaitement honorable. Il obtint la somme nécessaire et même davantage. Comment Hitler et ses mamelucks n’auraient-ils pas triomphé ? « Vous voyez bien l’argent se trouve toujours… » Les obstacles n’existaient pas il suffisait de faire pression sur les techniciens, et les choses prenaient aussitôt le cours désiré.
En réalité, de tels procédés ne faisaient qu’ajourner le problème. Il finissait toujours par se poser de nouveau, et avec tant d’urgence qu’il fallait tout de même le regarder en face. La plupart du
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