Hommage à la Catalogne
par la négative. À l’extérieur de la position, où probablement j’avais couru un danger moindre, je m’étais senti à demi malade de peur. Soudain on entendit de nouveau crier que les fascistes étaient en train de nous encercler. Cette fois, il n’y avait pas de doute, les éclairs étaient beaucoup plus proches. J’en vis jaillir un à vingt mètres à peine. Il était clair qu’ils s’ouvraient un chemin et arrivaient par le boyau. À vingt mètres ils étaient à bonne distance pour lancer des bombes ; nous étions là huit ou neuf serrés les uns contre les autres et une seule bombe bien placée suffirait à nous réduire tous en miettes. Bob Smillie, du sang coulant d’une petite blessure au visage, se redressa vivement sur un genou et jeta une bombe. Nous nous fîmes tout petits, attendant l’explosion. Tandis qu’elle fendait l’air, l’amorce fusa en rougeoyant, mais la bombe n’explosa pas. (Au moins une sur quatre de ces bombes ratait.) Il ne me restait plus de bombes, excepté les fascistes, dont je connaissais mal le fonctionnement. En criant je demandai aux autres si quelqu’un avait encore une bombe en réserve. Douglas Moyle tâta sa poche et m’en passa une. Je la lançai et me jetai visage contre terre. Par un de ces coups de chance comme il n’en arrive environ qu’une fois par an, j’avais réussi à envoyer la bombe exactement là où j’avais vu jaillir l’éclair d’un coup de fusil. Il y eut d’abord le fracas de l’explosion et puis, tout de suite, une clameur atroce : des hurlements et des gémissements. Nous en avions toujours touché un ; j’ignore s’il en mourut, mais sans aucun doute il était grièvement blessé. Pauvre diable ! Pauvre diable ! J’éprouvai vaguement de la peine en l’entendant crier de douleur. Mais au même instant, à la faible lueur des coups de feu, je vis ou crus voir une silhouette debout près de l’endroit d’où venait de jaillir un éclair. Je levai vivement mon fusil et lâchai la détente. De nouveau un hurlement. Mais je crois que c’était toujours l’effet de la bombe. Nous lançâmes encore plusieurs bombes. Les éclairs que nous vîmes ensuite étaient beaucoup plus éloignés, à cent mètres ou plus. Ainsi donc nous les avions repoussés, tout au moins momentanément.
Alors nous nous mîmes tous à jurer à qui mieux mieux, demandant pourquoi diantre l’on ne nous avait pas envoyé de renforts. Avec un fusil-mitrailleur, ou avec vingt hommes armés de fusils en bon état, nous pourrions tenir là contre un bataillon. À ce moment, Paddy Donovan, qui était commandant en second et que Benjamin avait envoyé à l’arrière chercher des ordres, escalada le parapet de front.
« Hé ! Sortez tous de là ! Ordre de nous replier immédiatement !
— Hein ?
— Ordre de se replier ! Sortez de là !
— Mais pourquoi ?
— C’est un ordre ! Retour à nos lignes, et en vitesse ! »
Déjà les hommes étaient en train de franchir le parapet de front. Quelques-uns d’entre eux s’escrimaient à faire passer par-dessus une pesante caisse de munitions. Je songeai soudain à la longue-vue que j’avais laissée appuyée contre le parapet de l’autre côté de la position. Mais à ce moment je vis les quatre hommes des troupes de choc, sans doute exécutant des ordres mystérieux qu’on leur avait précédemment donnés, partir en courant dans le boyau. Il menait à l’autre position fasciste, et donc – s’ils allaient jusque-là – à la mort certaine pour eux. Déjà ils se fondaient dans l’obscurité. Je courus après eux en cherchant à me rappeler quel est le mot espagnol pour dire « revenez » ; finalement je criai : « Atrás ! Atrás ! » Peut-être que ça disait bien ce que je voulais dire. L’Espagnol comprit et fit rebrousser chemin aux autres. Paddy attendait au parapet.
« Allons ! Grouillez-vous un peu !
— Mais la longue-vue !
— Je m’en fous de la longue-vue ! Benjamin attend à l’extérieur ! »
Nous sortîmes de la position en escaladant le parapet. Paddy maintint écarté le barbelé pour m’aider à passer. Aussitôt que nous eûmes quitté l’abri du parapet fasciste, nous nous trouvâmes sous une fusillade infernale ; les balles semblaient arriver sur nous de tous les côtés à la fois. Une bonne part d’entre elles, j’en suis persuadé, nous étaient envoyées par les nôtres, car tout le long du front tout le monde tirait.
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