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Hommage à la Catalogne

Hommage à la Catalogne

Titel: Hommage à la Catalogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: George Orwell
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fus dépassé à toute allure par quelque chose qu’on aurait pu prendre pour un essaim d’étoiles filantes. C’étaient les trois Espagnols qui, précédemment, avaient été en tête. Ils se retrouvèrent à notre propre parapet avant d’avoir pu s’arrêter et que j’aie pu les rattraper. La vérité c’est que nous avions les nerfs à bout. Mais, sachant que dans le demi-jour un homme peut n’être pas vu là où cinq le sont sûrement, je repartis seul. Je réussis à atteindre le barbelé extérieur et fouillai le terrain du mieux que je pus – ce qui n’est pas beaucoup dire, car il me fallait rester à plat ventre. Ne trouvant trace nulle part ni de Jorge ni de Hiddlestone, je rebroussai chemin, toujours en rampant. Nous apprîmes par la suite que Jorge et Hiddlestone avaient déjà été conduits plus tôt au poste de secours. Jorge était légèrement blessé à l’épaule ; Hiddlestone avait été affreusement blessé : une balle lui avait labouré le bras gauche sur toute sa longueur, brisant l’os en plusieurs endroits, et tandis qu’il gisait à terre, réduit à l’impuissance, une bombe avait éclaté près de lui, lui infligeant encore d’autres blessures sur le reste du corps. Je suis heureux de pouvoir dire qu’il s’est rétabli. Il m’a raconté plus tard que, pour regagner nos lignes, il avait parcouru une petite distance en glissant sur le dos, puis il s’était cramponné à un Espagnol blessé et, en s’aidant mutuellement, ils avaient réussi à rentrer.
    Il faisait maintenant tout à fait jour. Tout le long du front, sur des kilomètres à l’entour, des coups de feu désordonnés et vides de sens tonnaient, comme la pluie qui continue à tomber après un orage. Je revois l’aspect de désolation de tout, le sol fangeux, les peupliers éplorés, l’eau jaune dans les bas-fonds de la tranchée ; et les visages des hommes, épuisés, non rasés, balafrés de boue et noircis de fumée jusqu’aux yeux. Lorsque je rentrai dans ma cagna, les trois hommes avec qui je la partageais étaient déjà plongés dans un profond sommeil. Ils s’étaient laissés tomber à terre encore tout équipés en serrant contre eux leur fusil boueux. À l’intérieur de l’abri comme au dehors tout était imprégné d’humidité. En cherchant bien, je parvins à rassembler assez de brindilles sèches pour faire un tout petit feu. Puis je fumai le cigare que j’avais gardé en réserve et qui, chose étonnante, ne s’était pas brisé au cours de cette nuit.
    Nous apprîmes après coup, comme il en va de ces choses, que l’engagement avait été un succès. Ç’avait été un raid pour obliger les fascistes à retirer des troupes de l’autre côté de Huesca, où les anarchistes attaquaient à nouveau. J’avais évalué à cent ou deux cents hommes les forces que les fascistes avaient jetées dans la contre-attaque mais un déserteur nous a dit, un peu plus tard, qu’elles avaient été de six cents hommes ; il mentait très probablement – les déserteurs, pour des raisons évidentes, cherchaient à s’insinuer dans les bonnes grâces. C’était bien dommage d’avoir dû abandonner la longue-vue ! Lorsque j’y songe, la perte de cette magnifique pièce de butin me taquine aujourd’hui encore.

VII
     
     
    Il commença à faire chaud dans la journée, et les nuits elles-mêmes étaient assez tièdes. Sur un arbre haché par les balles, en face de notre parapet, des bouquets touffus de cerises se formaient. Se baigner dans la rivière cessa d’être une torture, devint presque un plaisir. Des rosiers sauvages, aux fleurs roses grandes comme des soucoupes, s’égaillaient parmi les trous d’obus, autour de la Torre Fabián. À l’arrière du front on rencontrait des paysans qui portaient des roses passées derrière les oreilles. Le soir, munis de rets verts, ils allaient chasser la caille. Vous étendiez le filet sur les pointes des herbes, vous vous couchiez par terre et imitiez le cri de la caille femelle. Aussitôt toute caille mâle à portée de voix accourait vers vous et quand elle était sous le filet, vous lui jetiez une pierre pour l’effrayer : alors elle prenait brusquement son essor et s’empêtrait dans le filet. On ne prenait donc évidemment que des cailles mâles – ce qui me heurtait comme une injustice.
    Il y avait à présent, tout à côté de nous sur le front, une section d’Andalous. Je ne sais pas très bien comment il se faisait

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