Iacobus
il
sortit et revint avec un tabouret de cuir qu’il plaça derrière Personne. Celui-ci
s’assit, se débarrassant du bonnet de coton qui couvrait sa calvitie, puis le
serviteur se retira discrètement, escorté de son compagnon. La porte resta
ouverte.
— C’est toujours un tel plaisir de
retrouver de vieux amis, affirma Personne.
Il paraissait très satisfait. Il portait
fièrement son habit de chevalier, et il s’enveloppa dans sa cape blanche d’un
geste si naturel qu’il m’était impossible de l’imaginer en marchand.
Jonas émit un grognement en guise de réponse et
Sara décida qu’il était temps de le rejoindre. Quant à moi, je n’ouvris pas la
bouche.
— Je dois vous demander pardon pour mon
attitude discourtoise à Castrojeriz, dona Sara, déclara-t-il, mais si cela peut
vous consoler, sachez que j’ai été durement puni pour ma faute.
— Cela m’est égal ; ce qui vous
concerne ne m’intéresse nullement, répondit Sara d’un ton très digne.
Voyant que ses façons humbles et généreuses ne
le menaient nulle part, Rodrigo en vint au fait :
— Je suis venu vous informer de votre
situation. Vous vous trouvez à plusieurs mètres sous terre au fond d’une
galerie aveugle qui forme une partie des centaines de tunnels creusés dans ce
versant des monts Aquilins. Cet endroit appelé Las Medulas, situé à douze
milles de Ponferrada, est malheureusement le dernier recoin libre de mon ordre
dans ce royaume. Nous disposions auparavant d’un véritable réseau de châteaux
et forteresses dans cette région du Bierzo : à Pieros, Cornatel, Corullon,
Ponferrada, Balboa, Tremor, Antarès, Sarracin... et des maisons à Bembibre,
Rabanal, Cacabelos et Villafranca. Mais aujourd’hui, il ne nous reste plus que
ces galeries.
Un lourd silence répondit à ces paroles.
— Je suppose, don Galcerán, poursuivit-il
avec une attitude très volontaire, que vous avez remarqué la faiblesse de votre
prison. Mais laissez-moi vous prévenir : échapper de Las Medulas est
impossible ; si vous avez lu Pline l’Ancien, vous comprendrez ce que je
veux dire.
Ce nom réveilla ma mémoire. Dans sa grandiose Histoire
naturelle, le sage romain parlait de l’extraordinaire
exploitation minière fondée par l’empereur Auguste dans la Hispania Citerior à
l’aube de notre ère. Un lieu en particulier avait attiré l’attention de notre
érudit : Las Medulas d’où les Romains tiraient vingt mille livres d’or pur
par an. Le système employé pour arracher le métal à la terre était appelé ruina
montium. Il consistait à lâcher d’un seul coup de grandes
quantités d’eau emmagasinée dans de formidables réservoirs situés sur les points
les plus hauts des monts Aquilins. L’eau ainsi libérée coulait à travers sept
aqueducs et, en arrivant aux Medulas, encaissée dans un réseau de galeries
creusées par des esclaves, provoquait de grands affaissements et perforait la
terre. Le sol aurifère était arraché jusqu’aux énormes lacs où l’on recueillait
et lavait le métal doré. Toute cette activité s’est poursuivie sans
interruption pendant deux cents ans.
Là était l’explication de ces pitons rocheux et
des aiguilles orange : il s’agissait des restes de montagnes dévastées par
des courants furieux. Et aussi l’explication de la terrible sûreté de notre
prison. Le fil d’Ariane qu’utilisa Thésée pour sortir du labyrinthe n’aurait pu
nous aider à nous échapper de cet enchevêtrement diabolique de tunnels. Nous
étions coincés, bien plus que si l’on nous avait mis des chaînes.
— Je devine à votre expression que vous
avez compris l’inutilité de toute fuite. Si vous demeurez dans cet état
d’esprit, nous n’aurons aucun problème vous et moi. Bien, il ne me reste plus
qu’un dernier détail, ajouta Personne en se relevant et en se dirigeant vers la
sortie, on m’a demandé de vous prévenir que vous serez bientôt transférés dans
un lieu encore plus sûr que celui-ci, et pourtant, don Galcerán, nous sommes
dans un des plus sûrs de la terre, je peux vous le garantir.
Il quitta notre cellule d’un air digne, et la
porte se referma avec bruit derrière lui. Je gardai le silence, comme mes
compagnons. Je savais ce qu’il nous restait à faire : tant que nous étions
en vie, il fallait continuer à lutter ; comme notre destin semblait tout tracé,
pourquoi ne pas essayer d’y introduire des variations, puisque après tout nous
devions
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