Iacobus
le comte Geoffroy. Il est au courant de toutes mes découvertes.
Il n’a qu’à décrire ce qu’il m’a vu faire et quelqu’un continuera ma quête.
Un rire tonitruant salua ma remarque.
— Le pauvre comte Geoffroy n’a pas réussi à
quitter San Juan de Ortega ! s’exclama Mendoza, amusé. Il n’aurait pas été
sage de notre part de le laisser échapper, n’est-ce pas ? Nos espions à
Avignon nous ont informés de votre visite au Saint-Père dès le mois de juillet.
En apprenant qu’un homme de votre réputation, Perquisitore, avait quitté
Rhodes pour venir voir le pape, nous avons commencé à nous inquiéter. Il était
clair qu’il ne pouvait s’agir d’une simple visite de courtoisie. Il était
possible que l’affaire ne nous concerne nullement, mais il nous a paru plus
prudent de vous mettre sous surveillance. Quand votre pèlerinage a débuté, nous
avons chargé frère Rodrigo, l’un de nos meilleurs espions, de vous accompagner.
Mais vous êtes intelligent, Galcerán ! Je n’ai jamais oublié l’anecdote du
voleur de vin, vous vous en souvenez ? Vous n’aviez que quinze ans, mais
vous aviez su découvrir, à sa façon de prendre la jarre, le domestique qui
avait dérobé le vin de mon père. Pardieu ! c’était splendide, oui
monsieur ! Notre bon frère Rodrigo qui échoue rarement ne put pourtant
rien découvrir malgré ses efforts, et cela nous inquiéta encore plus.
Là-dessus, vous vous êtes débarrassé de lui avec un vulgaire purgatif, puis
avez découvert la cachette de santa Oria. Il ne nous restait plus aucun doute.
Nous attendions seulement le moment opportun pour vous mettre la main dessus.
Et ce moment est finalement arrivé. Merci d’être venu ! ajouta-t-il en
riant.
— Votre histoire ne m’intéresse pas. Comme
votre père, vous êtes plein de superbe. J’avais un travail à accomplir et je
l’ai fait du mieux que j’ai pu. À votre tour de faire le vôtre. Mais épargnez-moi
de grâce le spectacle minable de votre absurde pétulance.
Manrique s’emporta :
— Un jour, Galcerán, je vous ferai ravaler
vos paroles ! Emmenez-les ! ordonna-t-il d’un ton péremptoire, puis,
baissant la voix, il ajouta : Adieu, Sara, ma douce amie. Je regrette que
nous nous soyons revus dans ces malheureuses circonstances.
Sara lui tourna le dos, me faisant face, mais je
n’eus pas le temps de la regarder car les moines se jetèrent sur nous, et,
avant que nous ne puissions réagir, me jetèrent avec mes compagnons à
l’intérieur d’un étroit caisson de bois fermé par des barreaux. C’était un
fourgon qui servait au transport de prisonniers. La première secousse nous fit
tomber, et ainsi commença notre voyage. Je le supposais court, devinant que la
mort nous attendait au bout. Il dura en réalité quatre jours entiers durant
lesquels nous traversâmes à toute allure d’interminables plaines et champs,
puis les landes dénudées du Léon, les chevaux lancés au galop sous les cris du
cocher et l’incessant claquement du fouet.
Notre voyage culmina avec une traversée de
l’enfer, le dernier jour, par les monts de Léon. Puis on nous sortit
brutalement du fourgon et on nous banda les yeux. J’eus juste le temps
d’apercevoir un paysage effrayant de pics rouges et d’aiguilles orangées. Où
diable étions-nous ? Un défilé colossal d’une trentaine de mètres environ
ouvrait sur une galerie de parois rocheuses qui serpentait jusqu’à perte de vue
dans les profondeurs de la terre. On nous poussa brutalement dans ce tunnel, et
l’on nous fit avancer. Aveuglés, nous trébuchions et glissions sans cesse. Puis
tous mes souvenirs devinrent confus : l’écho des voix impératives dans ces
couloirs s’éteignit peu à peu alors que je recevais un coup violent sur la
tête.
A mon réveil, j’avais complètement perdu le sens
de l’orientation et du temps. Je n’avais pas la moindre idée de l’endroit où je
me trouvais, ni pourquoi j’étais là, ni quel jour, mois ou année nous étions.
J’avais horriblement mal au crâne, et ne pouvais pas aligner deux idées de suite
ni coordonner les mouvements de mon corps. Saisi de spasmes, je ne commençai à
me sentir mieux qu’après avoir vidé mon estomac. Je repris peu à peu mes
esprits et pus me redresser en m’appuyant sur un coude. L’endroit empestait et
il faisait un froid terrible. Nos geôliers avaient jeté par terre nos maigres
possessions. Elles avaient si peu de valeur,
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