Iacobus
donnai un léger coup de pied à Jonas sous la
table pour lui faire perdre son expression ahurie.
— Je sais que mon cousin venait souvent ici
quand il était camérier du pape Clément V. Il m’en a parlé plusieurs fois avant
de mourir.
Je jouais le tout pour le tout mais la partie en
valait la peine.
— Il est mort ?
— Oh ! oui. Il y a deux mois, à Rome.
— Diable ! laissa-t-il échapper avant
de se rattra-per d’un : oh ! excusez-moi !
— Ce n’est rien, ne vous inquiétez pas.
— Je vous apporte tout de suite à manger,
dit-il avant de disparaître dans la cuisine.
Jonas me regarda d’un air épouvanté.
— Frère Galcerán, je n’ai jamais entendu un
tel issu de mensonges !
— Cher Jonas, je t’ai déjà dit de ne pas
m’appeler « frère ». Tu dois apprendre à dire don Galcerán !
— Vous avez menti, répéta l’entêté.
— Oui, et alors ? Je brûlerai en enfer
si cela peut te consoler.
— Je crois que j’aimerais retourner au plus
vite dans mon monastère.
Sa réponse me laissa sans voix. Je n’avais pas
prévu, par un sentiment erroné de possession, qu’il pourrait en appeler à sa
liberté pour retourner à Ponç de Riba. J’avais cru qu’une fois avec moi il se
sentirait libre pour la première fois de sa vie, qu’il serait heureux de voyager
loin des moines. Mais naturellement il ignorait mes plans pour son avenir, et
ne se doutait pas que sa véritable formation allait bientôt commencer. Il me
fallut cependant reconnaître que je m’étais trompé de méthode. Je devais me
demander comment je réagirais si j’avais de nouveau l’âge de Jonas.
— Bien, mon garçon, dis-je après quelques
minutes de silence. Il y a quelque chose que tu dois savoir.
Mais tu devras garder le plus grand secret à ce
sujet. Donne-moi ta parole que tu te tairas, sinon, tu es libre de retourner au
monastère.
Je suppose qu’au fond il n’avait jamais eu
l’intention de m’abandonner ne serait-ce qu’à cause de la peur que lui donnait
la perspective d’un long chemin de retour seul. Mais ce coquin était aussi
malin que moi et il apprenait vite.
— Je savais bien qu’il y avait autre chose
derrière tout ça..., dit-il, satisfait. Bon, vous avez ma parole.
— Je ne peux rien te dire maintenant. Nous
sommes au coeur de la tempête, tu me comprends ?
— Oui, parfaitement. Nous sommes là à cause
du secret.
— Exactement. Attention, notre aubergiste
revient.
Le gros François avançait vers nous avec une
énorme soupière fumante entre les mains d’où s’exhalait une agréable odeur de
poisson. Il arborait un grand sourire.
— Et voilà ! notre meilleur poisson préparé
à la provençale avec des herbes aromatiques.
— Splendide ! Et un peu de vin pour
accompagner, qu’en pensez-vous ?
— Je vais vous en chercher, dit-il.
— Vous prendrez bien un verre avec
nous ? Vous nous tiendrez ainsi compagnie.
Je le fis parler jusqu’à ce que nous ayons vidé
nos assiettes. Parler donne soif, cela est bien connu, Jonas en profita pour
remplir discrètement le verre de l’aubergiste chaque fois que cela était
nécessaire tout au long du repas. J’appris tout sur sa vie, sa femme, ses fils et
une bonne partie des membres de la curie apostolique. Il n’y a pas de meilleure
méthode pour obtenir l’information désirée que de susciter la confiance de
l’informateur en le faisant parler de lui, des êtres qui lui sont chers et de
tout ce dont il se sent fier et en l’écoutant avec attention, accompagnant le
dialogue de gestes légers d’appréciation. Une fois le fromage et le raisin
finis, François m’appartenait corps et âme.
— Ainsi donc, François, dis-je alors, c’est
bien dans cette maison qu’est mort le Saint-Père ?
Son visage porcin et luisant pâlit
immédiatement.
— Quoi... ? Comment le savez-vous ?
— Voyons, voyons, François, vous voulez
dire que vous n’avez pas compris la raison de mon étrange présence dans cette
maison deux mois après la mort de mon cousin ?
François ouvrit la bouche mais demeura muet.
— Vraiment, cela ne vous étonnait pas une
coïncidence si curieuse ? J’ai peine à le croire, un homme aussi
intelligent que vous.
Il ouvrit la bouche de nouveau mais ne réussit à
proférer qu’un son étouffé.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-il enfin
avec un gémissement. Un espion du roi ou du pape ?
— Je vous l’ai déjà dit. Je suis Galcerán
de
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