Iacobus
appartements
princiers, toi, Jonas, qui n’as rien vu du monde et qui viens juste de quitter
ton monastère ! explosai-je injustement.
— Votre étrange prière ne vous a pas calmé,
on dirait.
— Mon étrange prière m’a permis de
comprendre que la seule chose importante pour moi en ce moment c’est d’en finir
avec cette fichue mission, rendre mon rapport au pape et au grand commandeur,
puis revenir au plus vite chez moi, à Rhodes.
— Et moi là-dedans, je deviens quoi ?
— Toi ? Tu ne crois tout de même pas
que je vais m’occuper de toi pour le restant de mes jours !
Il était évident que j’étais de très mauvaise
humeur.
Il faisait un froid de tous les diables dans les
rues humides de Paris. De nos bouches sortaient des nuages de vapeur tandis que
nous attendions dans l’ombre le carrosse de Béatrice d’Hirson. Heureusement
nous avions pour nous protéger de longs manteaux de peau achetés à Avignon.
Jonas s’était couvert la tête d’un bonnet de feutre et moi d’un chapeau de
castor qui me protégeait du vent glacial. Cet après-midi, la propriétaire de
notre auberge était montée dans notre chambre à ma demande pour nous raser et
nous peigner. Jonas avait refusé de se laisser couper les cheveux après avoir
vu dans les rues de Paris beaucoup de jeunes gens de son âge portant cette
coiffure symbole de noblesse et de liberté, et il avait décidé de les imiter.
Il avait aussi refusé de se laisser raser, tout fier de sa nouvelle virilité.
Je crois que ce souci de son aspect physique était sa manière à lui de me dire
qu’il ne souhaitait plus retourner au couvent.
— J’ai beaucoup réfléchi depuis notre
visite de l’autre jour à Pont-Sainte-Maxence, me dit-il tout en sautillant sur
place pour se réchauffer.
— Et qu’as-tu trouvé ? lui demandai-je
à contrecoeur.
— Vous voulez que je vous donne mon opinion
sur la mort du roi Philippe le Bel ?
— Vas-y, je l’écoute.
Il continua à sauter comme un lièvre en
expulsant de grandes bouffées d’air laiteux. Derrière nous, s’éteignaient les
dernières lumières des tourelles de l’imposante forteresse carrée du Louvre.
Dans quelques minutes, Paris serait plongé dans l’obscurité, mais on voyait
encore briller quelques discrètes lanternes aux fenêtres et terrasses du
château. Grâce à elles, on pouvait deviner, se découpant sur le fond noir de la
nuit, la haute silhouette du donjon qui émergeait, menaçante comme une flèche,
de l’intérieur du château.
— Je crois qu’Auguste et Félix sont nos
vieux amis Templiers et qu’ils se sont installés à Pont-Sainte-Maxence à
l’avance pour préparer leur piège ; ils savaient que tôt ou tard le roi
viendrait chasser. Ils ont fait courir la rumeur sur le cerf merveilleux, et
quand le roi est arrivé, ils sont montés jusqu’au sommet de la colline et ont
attendu le moment propice pour frapper. La fortune les a favorisés puisque le
roi s’est séparé de son groupe en croyant voir l’animal. Alors... Jonas
s’interrompit avant de poursuivre : Non, ce n’est pas possible parce que,
s’ils étaient sur la colline...
— Ils n’y étaient pas, lui dis-je.
— Mais la vieille Marie a dit...
— Reprenons depuis le début. Comment
sais-tu qu’il s’agit de nos Templiers ?
— Les prénoms commencent par les mêmes
lettres, « A » et « F ».
— Bonne déduction que confirme un autre
élément : la règle des Templiers leur interdit la chasse. Et tu te
souviens de ce que nous a dit la femme du bûcheron, qu’ils ne chassaient
jamais ? La seule chasse permise au Templier est celle du lion, mais d’un
lion symbolique : le Malin. C’est pour cette raison qu’Auguste et Félix ne
tuaient jamais de bêtes dans les bois.
— Nom de Dieu... !
— Jeune homme, lui fis-je remarquer d’un
ton ironique, tu es en train de blasphémer !
— Non.
— Si, je t’ai très bien entendu. Tu devras
confesser ton péché, insistai-je avec malice.
— Je le ferai demain à la première heure.
— Voilà, c’est déjà mieux. Mais
poursuivons, tu disais qu’ils ne pouvaient avoir tué le roi puisqu’ils étaient
sur la colline, et tu as raison.
— Alors où se trouvaient-ils ?
Je serrai mon manteau contre moi en espérant que
Béatrice d’Hirson ne tarderait plus.
— En premier lieu, il faut accepter
l’existence d’un cerf, non pas prodigieux mais de bonne taille, aux bois larges
et
Weitere Kostenlose Bücher