Iacobus
qui aujourd’hui doit vagabonder en toute liberté. Auguste et Félix ont dû
l’attraper peu de temps après s’être installés à Pont-Sainte-Maxence, puis ils
ont dû plus ou moins l’apprivoiser. Ils ont sans doute fabriqué de faux bois de
douze cors avec les andouillers d’autres animaux. N’oublie pas qu’ils s’étaient
chargés des peaux des bêtes que chassaient les habitants du bois, et cela
signifie qu’ils pouvaient emporter les têtes. Ils ont taillé la nouvelle ramure
de façon à ce qu’elle s’emboîte parfaitement sur la tête de l’animal. Ils ont
dû également préparer un artifice pour qu’en peu de temps ces bâtons dont ils
se servaient pour marcher dans la forêt se transforment en une croix qui
s’insère entre les faux bois. Tu imagines l’effet produit. Le roi aperçoit le
cerf, se lance à sa poursuite et se retrouve séparé de son groupe. L’animal
disparaît dans l’épaisseur des bois, mais le roi retrouve sa trace et continue
sa folle poursuite qui l’éloigné de plus en plus de ses compagnons. Il est
probable – mais ce n’est qu’une supposition – qu’Auguste et Félix aient
embusqué l’animal dans un lieu choisi à l’avance et que le roi se soit arrêté
en attendant de le voir surgir de nouveau. Auguste et Félix apparaissent alors
et proposent au roi de l’aider à retrouver sa proie. Ils le promènent de droite
à gauche en prétendant apercevoir la bête, et le roi se laisse guider en toute
confiance parce qu’il brûle du désir de chasser ce cerf dont la ramure si rare
étonnera la Cour. L’animal surgit soudain et le roi, reconnaissant, donne sa
trompe à nos amis pour les remercier. Le voilà donc isolé, prêt à tomber dans le
piège. Il se précipite aux trousses du cerf, et à l’endroit précis où on le
retrouvera, il le perd encore une fois de vue. Il s’arrête, aux aguets,
immobile et seul... Complètement seul. Alors il entend un bruit, un bruissement
de feuilles, se retourne et que voit-il ? Ah ! ici commence le
phénomène de suggestion. Il voit le cerf, aussi immobile que lui, et si proche
qu’il peut presque l’entendre respirer. Il admire ses cors prodigieux, et tout
à coup distingue au centre une grande croix de bois. Elle brillait probablement
sous le soleil grâce à une bonne couche de résine. Alors le roi prend peur,
fait reculer son cheval tout en pensant à la malédiction de Jacques de Molay
qu’il n’est pas parvenu à oublier. (Souviens-toi qu’il est le dernier survivant
des trois maudits, aussi devait-il vivre dans la crainte de ce moment.) Il se
sent mal soudain. Il veut appeler ses compagnons de chasse, mais ne peut
trouver sa trompe. Il l’a donnée aux paysans. Et soudain, un coup sur la tête
le fait tomber de son cheval. À demi assommé, le roi commence à délirer :
« La croix, la croix... » Auguste et Félix démontent la fausse croix
et libèrent l’animal avant de repartir en courant vers la colline et prétendre
ainsi qu’ils s’y trouvaient au moment de la chasse.
— Mais on leur a certainement demandé s’ils
avaient vu quelque chose ?
— Et ils ont dû répondre avec naturel
qu’ils ont vu le roi se faire attaquer par un cerf et tomber de cheval, qu’ils
ont eu beau appeler à l’aide, ils étaient trop loin pour être entendus.
— Nous aurions dû examiner le lieu où l’on
a trouvé le roi.
— Pourquoi ? Trois ans se sont
écoulés, Jonas, et je doute que nos amis aient laissé la moindre trace.
— Peut-être, admit-il d’un ton peu
convaincu. Regardez ! Un carrosse arrive !
Le coche de Béatrice d’Hirson s’approchait du
Louvre comme une ombre sinistre, sa petite lanterne se balançant sur le siège
du cocher. Ce dernier tira sur les rênes des chevaux qui s’arrêtèrent devant
nous. Je m’approchai discrètement de la portière dépourvue de toute armoirie ou
devise qui aurait permis d’identifier sa propriétaire et demandai à voix
basse :
— Madame d’Hirson ?
— Montez.
Je pris place à l’intérieur du carrosse, suivi
par Jonas, et le cocher fouetta aussitôt ses chevaux. Deux femmes étaient
assises dedans. L’une d’elles, le visage dissimulé par l’ample capuchon d’une
élégante cape, était de toute évidence la personne que nous désirions voir.
L’autre, toute jeune, se tenait près de sa maîtresse avec un air intimidé.
— J’aimerais d’abord vous présenter mes
excuses, dis-je en guise de salut. Je vous
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