Iacobus
commentai-je avec ironie.
— Bien sûr..., bredouilla Marie.
— Une dernière chose. Savez-vous où se
trouvent Auguste et Félix maintenant ?
— Oh ! non, pas du tout ! Ils
sont restés jusqu’à Pâques puis sont partis chercher du travail ailleurs, ça
devenait difficile ici, on a connu une période de famine. Les gens mouraient en
se disputant pour un morceau de pain comme des chiens. Ils nous ont dit qu’ils
allaient tenter leur chance dans les Flandres, dans les fabriques de tissu. On
n’a plus jamais eu de nouvelles d’eux depuis.
Marie se tut d’un air satisfait, jugeant la
conversation terminée.
— Alors, vous avez trouvé de quoi
satisfaire le roi ? demanda-t-elle.
— Oui, répondis-je en me levant.
Jonas m’imita.
— Je lui dirai que vous nous avez été d’un
grand secours.
La vieille nous regarda avec curiosité.
— Vous avez beau dire, on dirait...
Je l’interrompis brusquement d’un : « À
cheval, Jonas ! »
— Adieu, Marie, dis-je, je vous souhaite de
bien profiter de ces écus que vous devez à la générosité du roi.
Deux jours après que Jonas eut remis ma lettre à
Béatrice d’Hirson avec la discrétion qui le caractérise, une réponse me parvint
par l’entremise d’un vieux serviteur qui tremblait comme une feuille en me la
remettant. En le voyant dévaler l’escalier avec la célérité d’un gamin, j’en
déduisis que sa peur, par ailleurs injustifiée, ne devait être qu’un pâle
reflet de celle qu’il avait vue chez sa maîtresse quand elle lui avait confié
le message que je tenais entre les mains.
Ce jour-là, je me sentais fatigué, empreint d’un
vague à l’âme que je n’arrivais pas à identifier. Je me débarrassai de Jonas
qui partit tout content de sa liberté, rêvant de nouvelles aventures, et je
m’assis les yeux fermés en position de méditation pour tenter d’éclaircir les
pensées et les sentiments qui m’agitaient depuis un certain temps. J’avais
complètement oublié mes études de la Qabalah, le sefer
Yetzirah, le Livre de la Création, et le Zohar ,
le Livre de la Splendeur, j’avais aussi oublié le développement de ma vie
intérieure. Je me sentais tourmenté par des souvenirs passés comme un château
assiégé par une puissante armée de troupes fantômes. J’avais besoin de
retrouver un peu de paix. Je me concentrai d’abord sur ma respiration puis sur
mes émotions à vif. Voilà. « Du calme, Galcerán, me dis-je, tu dois
recouvrer la sérénité, ce n’est pas ton genre de te laisser gagner par
l’amertume. Tu trouveras la paix de nouveau quand tu seras revenu à Rhodes,
quand tu graviras le mont Ataviro, quand tu pourras te reposer sur une plage de
sable fin en écoutant le ressac. Mais tu dois remplir auparavant la mission que
t’a confiée Sa Sainteté puis conduire Jonas à Taradell chez ses grands-parents.
Alors seulement tu pourras retrouver toute ta tranquillité. »
Je demeurai très longtemps ainsi à dialoguer
intérieurement avec moi-même, puis je finis en rendant grâce au ciel d’avoir
trouvé un peu de calme. Je quittai par paliers le sentier de la concentration,
pris une profonde inspiration puis bougeai mes mains et mon cou pour les
décontracter.
— Enfin ! s’écria Jonas avec un soupir
de soulagement. Je vous ai cru mort. Vraiment.
— Mais que diable fais-tu ici ? Ne
t’avais-je pas dit de prendre tout ton temps ?
— C’est ce que j’ai fait, protesta-t-il.
J’ai assisté à un spectacle de marionnettes rue de la Bûcherie, et j’ai observé
les ouvriers qui travaillent sur les arcs-boutants de Notre-Dame. Mais il est
trois heures de l’après-midi, et cela fait une heure que je vous observe. Quel
genre d’oraison étiez-vous en train de faire ? Vous étiez si immobile que
même vos paupières ne bougeaient pas.
— J’ai reçu une lettre de Béatrice
d’Hirson, lui dis-je pour toute réponse.
— Je sais, je l’ai vue. Elle est posée sur
votre table de travail. Je ne l’ai pas lue. Que vous dit-elle ?
— Elle veut nous voir ce soir, à l’heure de
vêpres, devant le pont-levis de la forteresse du Louvre.
— Hors des murailles ? s’exclama
Jonas, surpris.
— Elle viendra nous chercher avec son
carrosse. Je suppose qu’elle ne dispose pas d’un lieu assez sûr pour nous
recevoir.
— Superbe ! Les carrosses des
courtisans sont aussi confortables que la chambre d’un prince.
— Et que peux-tu savoir des
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