Iacobus
surprendre.
Il était sûrement habitué à susciter plus de frayeur.
— Voici les ordres que j’ai reçus,
continua-t-il comme si tout ce qui ne concernait pas sa mission était sans
importance : je dois vous suivre nuit et jour ; vous porter secours
si nécessaire, je dispose d’une escorte de cinq hommes armés ; vous tuer,
vous et votre écuyer, si vous désobéissez aux ordres du pape.
J’eus du mal à contenir mon indignation tandis
que cet idiot pérorait. J’étais là, avec mon fils, à chercher un trésor dont je
me souciais comme d’une guigne, je devais accomplir une mission périlleuse dont
le succès ne servirait qu’à enrichir ceux qui étaient déjà fortunés, voyager
dans l’inconfort, et ce bretteur osait venir me menacer de mort !
— Vos ordres ne m’intéressent pas, comte,
répondis-je sans cacher mon irritation. Pour moi c’est comme si vous n’existiez
pas, puisque vous n’êtes qu’une ombre. J’ai accepté une mission, et je la remplirai.
— Sa Sainteté désire que vous meniez à bien
votre tâche le plus rapidement possible.
— Vous ne me surprenez guère. Mais comme je
n’ai pas encore appris à faire de miracles, Sa Sainteté devra patienter. Et
vous aussi. Une dernière chose avant de vous prier de disparaître de ma
vue : j’aimerais savoir comment vous contacter.
— C’est inutile, répondit-il d’un ton
énigmatique.
Nous ne vous quitterons pas des yeux,
ajouta-t-il avant de s’éloigner.
— Merci, comte, dis-je en guise d’adieu.
L’écho de ma voix résonna dans la nef, avec une
note de peur... Mon ordre était-il au courant de cette menace ou bien
s’agissait-il uniquement d’une manoeuvre du pape ? Quoi qu’il en soit, dans
les deux cas, je n’avais personne à qui demander de l’aide...
Il nous fallut trois jours pour arriver à
Montpellier et dix de plus pour atteindre Toulouse. Je ne manquais pas de
visiter, à Saint-Guilhem-le-Désert, le sépulcre de Guillaume le Grand qui
mourut en luttant contre les sarrasins, ainsi que ceux des martyrs Tibère,
Modeste et Florence dans une abbaye bénédictine sur les rives de l’Hérault, et
de saint Sernin, évêque de Toulouse, qui souffrit un horrible supplice attaché
à des taureaux sauvages.
J’étais préoccupé par l’influence que toutes ces
histoires pittoresques pouvaient exercer sur le jeune esprit de Jonas. Je
m’évertuais, bien sûr, à lui apprendre d’autres choses, cherchant à cultiver
son esprit, mais l’heure de son initiation complète n’avait pas sonné. Il
ignorait encore tout de ses origines ; et même après, il lui faudrait du
temps avant de pouvoir revêtir une armure, manoeuvrer une lance, et surtout
brandir le bras tendu une épée de bon acier. Toutes ces années passées au
monastère de Ponç de Riba l’avaient rendu très vulnérable aux prouesses
étonnantes et fascinantes des saints et martyrs. La plupart d’entre eux, quand
ils n’avaient pas été de simples guerriers dont les batailles avaient servi les
intérêts de l’Église, n’étaient souvent même pas des chrétiens, mais, comme
d’habitude, la hiérarchie ecclésiastique avait maquillé leur vie de païens ou
d’initiés pour les ajuster aux canons romains de la sainteté.
La ferveur religieuse de Jonas ne cessait de
croître, allant de pair avec le nombre de sépulcres que nous visitions, mais ma
préoccupation fut à son comble quand, arrivés au pied du col du Somport, je le
surpris en train de cacher dans sa besace un morceau de lard fumé que nous
avait donné une fermière généreuse à qui nous avions demandé l’aumône d’un
repas. J’avais un pressentiment depuis un certain temps mais j’attendais le
moment de le prendre en flagrant délit.
— Qu’est-ce que tu fais ? lui
demandai-je d’un ton furieux en lui retirant les mains et en ouvrant son
escarcelle.
Une horrible puanteur s’en dégagea ; des
bouts de nourriture avariée se décomposaient au fond.
— Tu peux m’expliquer ?
Aucune expression de honte sur son visage
enfantin. Il accueillit mes paroles avec un air obstiné, entêté et offensé.
— Je n’ai rien à vous expliquer.
— Comment ça ! Tu gâches la nourriture
et tu trouves ça normal !
— C’est une affaire entre Dieu et moi.
— Mais ce n’est pas possible d’être si
bête ! bra-mai-je, indigné. Nous marchons sans repos du lever au coucher
du soleil, et toi au lieu de t’alimenter pour prendre des
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