Iacobus
hospices de pèlerins les
plus importants du monde, les deux autres étant le Mons Iocci sur la route de
Rome et celui de Jérusalem à la charge de mon ordre. Tandis que Jonas reprenait
des forces malgré son désir de porter la couronne d’épines des élus, j’allai
chercher refuge dans l’auberge de la proche localité de Canfranc.
Le médecin qui examina Jonas affirma qu’il lui
faudrait au moins deux jours pour se remettre. À mon humble avis, un bon plat
de viande avec des légumes et une demi-journée de sommeil auraient amplement
suffi. Mais comme je n’étais qu’un noble chevalier qui faisait un pèlerinage
pour se faire pardonner de vieilles dettes galantes, il m’était interdit
d’émettre le moindre avis médical.
Le jour suivant, tôt le matin, je descendis vers
Jaca, mon chapeau calé au-dessus des yeux. Un soleil aveuglant brillait.
J’avais l’intention de bien examiner les lieux et de ne laisser échapper aucun
détail qui pourrait m’être utile. En toute logique, c’était ici, au début du
Chemin, que devaient commencer à apparaître des signes ou du moins les clés
permettant d’interpréter ces signes. Il eût été absurde de la part des
chevaliers du Temple de disséminer de grandes richesses tout au long d’une route
de pèlerinage très fréquentée sans établir à l’origine même du trajet le code
indispensable pour les récupérer.
J’abandonnai la rive du fleuve Aragon pour
entrer dans la ville de Villanua. Je ne sais pas ce qui me poussa à m’y
arrêter, mais ce fut un coup de chance car à l’intérieur de sa petite église se
trouvait une Vierge noire. J’éprouvai une joie intense en la voyant. La Terre, Magna
Mater, irradie ses forces internes vers l’extérieur à travers des
veines souterraines. Ces courants furent appelés « Serpents de la
Terre » par des civilisations anciennes aujourd’hui disparues qui
utilisèrent la couleur noire pour les représenter. Les vierges noires sont des
symboles, des signes qui indiquent à ceux qui savent les interpréter en ces
temps chrétiens les endroits où ces courants intérieurs jaillissent avec la
plus grande puissance. Il s’agit de lieux sacrés, mystérieux, de précieux lieux
de spiritualité. Si un jour l’homme cessait de vivre au contact de la Terre, et
ne pouvait absorber son énergie, il se perdrait pour toujours et cesserait de
former partie de l’essence pure de la Magna Mater.
Je ne sais combien de temps je demeurai là
immobile, absorbé dans mes pensées, méditant. Ces quelques heures me permirent
de me retrouver, de renouer avec le Galcerán qui avait abandonné Rhodes pour
connaître son fils et apprendre de nouvelles techniques médicales. Je
recouvrais une paix intérieure, et le silence, mon propre silence duquel
surgit, comme une oraison, le beau vers du poète Ibn Arabi [11] : « Mon coeur
contient tout... »
Je me rendis à Jaca le lendemain. Je traversai
le fleuve par un pont de pierre laissant Villanua à ma gauche, et entrai dans
la ville par la porte de Saint-Pierre. Je découvris une cité propre et
accueillante bien que très bruyante. C’était jour de marché, et les gens se
pressaient sur la place et sous les arcades au milieu d’un brouhaha
étourdissant, entre coups, bousculades, insultes et disputes. Mais tout se
figea soudain quand j’aperçus le tympan de la porte ouest de la cathédrale. Les
pèlerins passaient par ici pour aller prier devant l’image de l’apôtre et les
reliques de sainte Orosie, patronne de la ville.
Ce ne fut pas le superbe chrisme [12] à huit bras qui
provoqua ma stupeur, mais les deux magnifiques lions qui le flanquaient. Ils
disaient clairement à qui savait observer que l’édifice contenait quelque chose
de si important qu’il fallait pénétrer dans l’enceinte avec ses cinq sens en
éveil. Le lion est un animal solaire très étroitement lié au concept de
lumière. C’est le cinquième signe du zodiaque, ce qui signifie que le soleil
passe par ce signe entre le 23 juillet et le 23 août, c’est-à-dire pendant la
période la plus lumineuse et chaude de l’année. Selon la tradition symbolique
universelle, le lion est la sentinelle sacrée de la Connaissance mystique dont
la représentation cryptique est le serpent noir. Un serpent se trouvait bien
sous le lion de gauche ou, pour être plus précis, le lion paraissait protéger
une figure humaine qui tenait un serpent. De son côté, le lion de droite écrasait
sous sa
Weitere Kostenlose Bücher