Iacobus
place
jusqu’à la nuit tombée. Nous dûmes retourner ensuite à l’église Saint-Honoré
pour y passer une mauvaise nuit. Le lendemain, un dimanche, tous les nombreux
pèlerins qui s’étaient réunis à Arles durant les dernières semaines pour cette
seule raison devaient être bénis lors d’une cérémonie officielle. Ces gens
voyagent en groupes habituellement pour se protéger des brigands et bêtes
sauvages qui infestent les routes, et si je n’avais nullement l’intention de
marcher en compagnie, il me parut plus prudent de commencer notre longue marche
avec les divers présents que la ville remettait aux voyageurs avant leur
départ.
La foule se rassembla devant les portes de la
basilique dès les premières lueurs de l’aube. L’ambiance était à la fête, et il
faisait bon sous le soleil brillant. Les prêtres de toutes les églises de la
ville célébrèrent la messe avec grand faste, puis on nous remit les attributs
de pèlerin après les avoir bénis : la besace, accompagnée de ces
paroles : « Au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, reçois ce panier,
attribut de ton pèlerinage, afin que sauf et amendé, tu te dépêches d’arriver
au parvis de Saint-Jacques et que, ton chemin accompli, tu nous reviennes plein
de santé, grâce à Dieu et son règne éternel. Amen [8] . » ; le bourdon pour marcher et se défendre ; la calebasse pour l’eau ;
le chapeau rond à larges bords pour se protéger du soleil ; et la cape
pour le froid et le mauvais temps. La plupart des pèlerins portaient une boîte
d’étain suspendue à l’épaule où ils rangeaient les documents et sauf-conduits
nécessaires au voyage. On nous servit ensuite à boire et à manger tandis que
bateleurs, magiciens et mimes chantaient et jouaient. Jonas s’empiffra de
pralines, et je dus lui arracher des mains une coupe de vin remplie à ras bord
alors qu’il la portait déjà à ses lèvres.
Les pèlerins quittèrent Arles pour se diriger en
groupes plus disséminés vers Saint-Gilles-du-Gard à quelque dix milles de
distance. Là était enterré le corps de ce saint qui jouissait en France d’une
grande renommée par sa célérité à répondre aux suppliques. Ce sanctuaire était
une étape obligatoire sur le Chemin : visiter le sépulcre du saint et baiser
son autel portaient chance.
Il faisait déjà nuit à notre arrivée ;
après avoir déposé nos maigres biens dans le refuge, nous prîmes la direction
de l’église. Une vision éblouissante nous y attendait au sens propre, et je dus
me protéger les yeux d’un geste de la main. Illuminé par des milliers de
cierges, candélabres et bougies, le temple resplendissait comme de l’or. La
lumière était si aveuglante que Jonas, béat d’admiration, passa un bon moment à
ciller et larmoyer. Le tombeau du saint était en effet digne d’être visité. La
châsse d’or, de cristal et de pierres précieuses présentait sur le devant une
représentation du Christ donnant la bénédiction d’une main tandis qu’il
soutenait de l’autre un livre ouvert dans lequel on pouvait lire les
mots : « Aimez la paix et la vérité ». La frise centrale
décorant le côté gauche était encore plus surprenante : y apparaissaient,
grossièrement représentés, les douze signes du zodiaque. Je me demandai,
intrigué, ce qu’ils faisaient là quand une voix de stentor me fit soudain
sursauter. Je portai aussitôt la main à la ceinture, oubliant que je n’étais
pas armé.
— Beatus
vir qui timet dominum [9] dit un homme derrière moi.
— Caeli enarrant
gloriam dei [10] , répondis-je en me tournant pour découvrir
l’émissaire inconnu que j’attendais de voir depuis que nous avions quitté
Avignon.
A moitié caché dans la pénombre et enveloppé
dans un manteau sombre, un individu de grande taille et à la forte corpulence
nous contemplait, immobile. Je continuai à l’observer en silence quand il
s’avança. Je fis signe à Jonas de ne pas bouger et me dirigeai lentement vers
lui. Je le distinguais parfaitement maintenant. Il avait les cheveux courts,
les yeux d’un bleu très clair et une longue barbe d’un blond intense qui
contrastait avec ses vêtements. Sa mâchoire forte et carrée, son front large et
osseux lui donnaient un aspect formidable. Il devait s’agir d’un membre
important des corps de garde du Saint-Père.
Il se présenta comme le comte Geoffroy Le Mans,
mon ombre, crut-il bon de préciser. Mon attitude sereine parut le
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