Iacobus
Il s’est
arrêté à Roncevaux et n’a pas dépassé ce point. Tu te souviens, n’est-ce pas,
du cimetière d’Aliscamps près d’Arles où reposent les dix mille guerriers de
Charlemagne ? Si ce qu’on dit est vrai, je ne vois pas comment il aurait
pu arriver jusqu’à Najera !
Le garçon me regarda d’un air déconcerté avant
d’éclater de rire, secouant la tête d’un côté à l’autre comme un vieux sage
éberlué par la naïveté du monde. Personne l’imita.
Laissant Huercanos à notre droite, et Alesón à
gauche, peu de temps après nous entrions à Najera par un pont de sept arches
qui enjambait le fleuve Nejerilla. Najera avait beaucoup souffert de sa
condition de ville frontière entre la Navarre et la Castille, endurant les
luttes incessantes entre les deux royaumes jusqu’à son intégration définitive à
la dernière. Notre logis se trouvait dans le noble monastère de Santa Maria la
Real fondé treize ans auparavant par un homonyme de Jonas, Garcia I er de Najera. Après avoir préparé nos lits avec des tas de paille fraîche et de
douces peaux de mouton, on nous servit un excellent repas de viande accompagnée
de pain d’orge, de lard, de fromage et de fèves. Une fois repu, et sans pouvoir
me libérer de mes compagnons, je partis à la recherche de la fuyante Sara.
Nous franchîmes les lourdes portes de chêne et
de fer du quartier juif sous une lumière crépusculaire. Il faisait un froid
pénétrant et humide. À l’inverse d’Estella, la ville tenait les Israélites en
grande estime. Vivant sans la crainte d’être offensés par les Gentils, ils
avaient établi des commerces dans tous les quartiers et dans toutes les rues du
centre, surtout autour de la place du marché et du palais de dona Toda.
Le quartier ressemblait dans son tracé aux
quartiers juifs de Paris, d’Aragon et de Navarre. Des ruelles étroites, des
chemins de ronde, des petites maisons avec cour et grilles de bois, des bains
publics... Les Hébreux, quels que soient la ville et le pays où ils vivent,
forment un peuple uni avec ardeur par la Torah, et leurs quartiers – d’authentiques
citadelles à l’intérieur des villes chrétiennes – les maintiennent à l’abri des
croyances, usages et conduites étrangers. La crainte d’un exode inattendu les a
conduits à exercer des métiers qui ne comportent pas de biens difficiles à
transporter en cas d’expulsion. Pour cette raison, nombre d’entre eux sont de
grands artisans réputés. Mais ceux qui pratiquent l’usure et en tirent
d’abondants bénéfices ou perçoivent la dîme au nom des rois chrétiens
réveillent dans le peuple une haine féroce.
Je demandai à tous les passants que nous
croisions s’ils avaient entendu parler d’une Juive française qui s’appelait
Sara et avait dû traverser la ville le jour même ou la veille peut-être, mais
ne pus obtenir aucun renseignement concret quand enfin, un homme nous indiqua
la maison d’un certain Judah Ben Maimon, fabricant de soieries renommé dont
l’établissement servait de lieu de réunion aux muccadim. Je décidai de lui rendre visite.
Judah Ben Maimon était un vieil homme à l’aspect
vénérable. Il avait un visage grave et des yeux d’une profonde intelligence.
Une forte odeur de teinture imprégnait son magasin étroit mais regorgeant de
biens. De magnifiques toiles irisées suspendues à des perches au plafond
chatoyaient à la lumière des flammes. Le comptoir situé sur un côté du mur et
les consoles surmontées de tambours de soies perses et morisques constituaient
tout le mobilier.
— En quoi puis-je vous être utile,
messieurs ?
— Shalom, Judah Ben
Maimon, dis-je en faisant un pas vers lui. On nous a dit que vous étiez l’homme
qu’il nous fallait pour nous donner des nouvelles d’une femme juive qui a dû
passer par Najera tout récemment. Elle s’appelle Sara et elle vient de Paris.
Judah nous examina longuement avec curiosité
avant de nous répondre :
— Que lui voulez-vous ? me
demanda-t-il.
— Nous avons fait sa connaissance à Paris,
et, il y a quelques jours, à Puente la Reina, on nous a dit qu’elle se
trouvait, comme nous, sur le chemin de Burgos. Nous aimerions la revoir, et je
crois qu’elle en serait heureuse aussi.
Le marchand commença à tambouriner des doigts
sur le comptoir. Il baissa la tête comme s’il devait prendre une décision
importante. Puis il la releva et nous regarda.
— Quels sont vos
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