Iacobus
rendant notre
progression difficile et fatiguant nos animaux qui s’agitaient, inquiets, et
refusaient d’obéir. S’il y a bien un phénomène de la nature qui altère l’âme,
c’est le vent. C’est difficile à comprendre mais de même que le soleil anime et
la pluie attriste, le vent inquiète et perturbe. Je me sentais donc d’humeur
sombre, mais j’avais des circonstances atténuantes. Lorsque je m’étais réveillé
à Logrono, j’avais trouvé, clouée sur mon oreiller par une dague, une note où
étaient inscrits ces mots : Beatus vir qui timet dominum. Ainsi que je le craignais, le comte Geoffroy perdait patience et réclamait des
résultats. Mais que pouvais-je faire de plus ? Je cachai rapidement dans
mes vêtements le couteau et déchirai le message avant de le jeter. Le fait de
savoir que le pape ne ferait rien contre nous tant que nous n’aurions pas
trouvé l’or soulageait un peu mon inquiétude.
Nous traversâmes l’ample plaine fertile du
fleuve Ebro sous un ciel couvert, au milieu des vignes et des champs, avec au
sud les pics enneigés de la Demanda. Une dure montée aboutissait à Navarrete,
ville prospère et artisanale dotée de très bons hospices pour les pèlerins.
Alors que nous traversions sa rue principale flanquée de nombreuses demeures et
palais, les habitants nous saluèrent avec courtoisie.
A la sortie de la ville, notre chemin croisa la route
de Ventosa et monta légèrement par les bois vers le haut de San Antonio où il
se remit à pleuvoir.
— Cette zone est peu sûre, commenta
Personne en regardant autour de lui avec méfiance. Les assauts des brigands y
sont malheureusement très fréquents. Nous devrions presser le pas et nous
éloigner au plus vite.
Le visage de Jonas s’illumina soudain.
— Il y a vraiment des brigands dans ces
parages ?
— Et ils sont très dangereux, mon garçon.
Bien plus que tu ne l’imagines. Alors, mets ton cheval au galop et
partons ! s’exclama-t-il, éperonnant le sien brutalement et se lançant
colline en bas.
Peu avant de pénétrer à Najera, notre route
longea une colline par le versant nord.
— Voici le « Puy de Roland », dit
Personne en regardant Jonas. Tu connais l’histoire du géant Ferragut ?
— Je n’en ai jamais entendu parler.
— Le livre IX du Codex
Calixtinus, dis-je, jaloux des connaissances du vieil homme,
présente la chronique de Turpin, archevêque de Reims, qui narre les faits et
gestes de Charlemagne sur ces terres. C’est là que se trouve racontée la lutte
entre Roland et Ferragut.
— C’est exact, reconnut Personne. Turpin
raconte qu’à Najera, la ville que tu as devant toi, vivait un géant du lignage
de Goliath appelé Ferragut, qui était venu de Syrie avec vingt mille Turcs sur
les ordres de l’émir de Babylone pour combattre Charlemagne. Ferragut ne craignait
ni les lances ni les flèches et possédait la force de quarante hommes. Il
mesurait presque douze coudées de hauteur, son visage était d’une coudée de
large, son nez une paume, ses bras et ses jambes quatre coudées et les mains
trois paumes. Quand Charlemagne apprit son existence, il se rendit sur-le-champ
à Najera. À peine Ferragut découvrit-il son arrivée qu’il sortit de la ville et
le provoqua en un combat singulier. Charlemagne envoya ses meilleurs guerriers.
En premier lieu Ogier. Le géant, le voyant seul dans le champ, s’approcha
lentement de lui, le saisit sous son bras droit avec ses armes et l’emporta
comme un vulgaire mouton. Charlemagne envoya ensuite Renaud de Montalban que
Ferragut jeta en prison tout aussi aisément. Puis il envoya le roi de Rome,
Constantin, et le comte Hoel, mais le géant prit les deux à la fois et leur fit
rejoindre leurs infortunés compagnons. Enfin, on envoya vingt lutteurs deux par
deux. En vain. Voyant cela, Charlemagne n’osa plus envoyer personne.
— Alors, que se passa-t-il ?
— Alors, un jour passa par ici Roland, le
chevalier le plus courageux de Charlemagne. Il se posta en haut de la colline
que tu vois, face au château du géant. Quand Ferragut apparut sur le seuil de
sa porte, Roland prit un rocher de deux arrobes et le lança sur le géant. Il le
toucha entre les deux yeux et le fit tomber. Depuis, ce lieu s’appelle le Puy
de Roland.
— Mais le plus drôle de cette chanson de
geste, Garcia, dis-je avec un sourire, c’est que Charlemagne n’est jamais
parvenu à pénétrer sur les terres espagnoles. L’histoire le prouve.
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