Iacobus
recommencer à jouer, m’expliqua Personne en souriant.
— Tu parles d’un jeu idiot ! grogna
Jonas.
— Ce sont les règles, mon garçon, lui
rétorqua le vieil homme. Mais dans la vie aussi on peut avoir des coups de
chance.
Je repris les dés et les lançai de nouveau.
« Six » et « quatre », « dix ». J’étais arrivé à
la dernière case en deux coups seulement.
— Ça ne vaut pas ! Je n’ai même pas pu
jouer, protesta Jonas en regardant incrédule mon pion au centre.
— Je te l’ai déjà dit, lui expliqua
patiemment Personne, ce sont les règles. Si ton père est arrivé si vite au
bout, ce n’est pas sans raison. Le hasard n’existe pas. Vous avez déjà atteint
le but, don Galcerán, vous avez parcouru le chemin de la manière la plus rapide
possible. Réfléchissez à cela. Maintenant, à moi.
Il secoua les dés entre ses mains et les lança
sur la table. « Sept ».
— Vous aviez remarqué que les dés sur les faces
opposées font toujours sept ? demanda-t-il pendant qu’il avançait son pion
et le plaçait sur une image de pêcheur.
— Maintenant, c’est à moi, dit Jonas en
lançant les dés à son tour.
— « Sept » moi aussi !
s’exclama-t-il en plaçant son pion à côté de celui de Personne.
— Ah ! non, Garcia, dit ce dernier en
retirant son pion vert. Si au premier tour un joueur refait le même nombre que
le précédent, il retourne à la case numéro 1.
— Ce jeu est idiot ! Je ne veux pas
continuer !
— Il ne faut jamais abandonner une partie
en cours, pas plus qu’une tâche ou un devoir.
Le vieil homme recommença à secouer les dés et
les lança. « Dix ». Comme mon dernier coup. Puis ce fut le tour de
Jonas qui avança de trois cases. Puis ce fut de nouveau le tour de Personne qui
arriva sur une case représentant une oie :
— « D’oie en oie », et je
rejoue ! s’exclama-t-il, avançant son pion jusqu’à la case 36 et agitant
de nouveau les dés.
Il avança jusqu’à la case 42 sur laquelle un
labyrinthe l’arrêta net.
— Je dois passer un tour sans jouer et
ensuite je devrai reculer jusqu’à la case 30.
— Qu’avez-vous dit avant ? demandai-je
impressionné.
— Que je passerai un tour.
— Non, avant !
— « D’oie en oie », c’est
ça ?
— « D’oie en oie... » J’ébauchai
un sourire. Vous connaissez l’origine de cette expression et sa
signification ?
— Pour ce que je sais, marmonna-t-il
soudain de mauvaise humeur, ce n’est qu’une phrase du jeu. Mais vous semblez en
savoir plus...
— Non, non, mentis-je, cela m’a amusé,
voilà tout.
La partie continua encore un peu entre eux deux.
J’en regardais le développement avec grand
intérêt. Quand Jonas tomba sur l’Auberge, il demeura deux tours sans
jouer ; dans le Puits, il dut attendre que Personne y tombe aussi pour en
sortir. Pour finir, les dés le firent se perdre dans le labyrinthe alors que
son rival plus chanceux courait « d’oie en oie » jusqu’à la fin.
— Bon, eh bien puisque le jeu est terminé,
marmonna Jonas en se levant, on s’en va. À cette allure, on n’arrivera jamais à
Logrono.
— Le jeu n’est pas terminé, jeune Garcia,
le reprit Personne. Tu n’es pas encore arrivé au Paradis.
— Quel Paradis ?
— Comment ? Là, tu ne vois pas que la
dernière case, la grande au centre, représente le jardin de l’Éden ?
Regarde les fontaines, les lacs, les prés verts et le soleil.
— Je dois finir seul, sans
adversaire ? dit Jonas, surpris. Quel jeu étrange !
— L’objectif du jeu est d’arriver le
premier à la dernière case, mais le fait que quelqu’un arrive avant toi ne veut
pas dire que tu as terminé. Tu dois faire ton propre chemin, affronter les
difficultés et les dépasser avant d’arriver au Paradis.
— Et si je tombe sur cette case, celle du
crâne ? demanda Jonas en indiquant l’endroit.
— La case 58 représente la mort, mais dans
ce jeu, comme dans la vie, pourrais-je ajouter, la mort n’est pas la fin. Si tu
tombes dessus, tu repars sur la première case et tu recommences.
— Bien. Je jouerai... mais une autre fois.
Maintenant, je veux partir, vraiment.
Il y avait une telle sincérité dans sa voix que
Personne ramassa son jeu et se leva sans rien dire. Après une nuit passée à
Logrono, le jour suivant nous partions vers Najera et Santo Domingo de la
Calzada. Le vent et la pluie continuaient à gâcher notre voyage,
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