Il était une fois le Titanic
comme un fantasme littéraire par les experts maritimes, venait souligner les préoccupations de nombreux voyageurs, que la polémique suscitée par les atermoiements du Board of Trade ne rassurait pas. Comme à la fin du siècle précédent, les journaux, qui en faisaient volontiers leurs titres, braquaient à nouveau leurs projecteurs sur les fortunes de mer que le passé récent offrait en exemple. Dans ce terreau, les enchères de l’angoisse avaient toutes les chances de croître et de se développer. La grande peur de l’océan revenait hanter l’esprit des terriens.
C’est ainsi que furent remis à la mode les récits prétendument prémonitoires d’anciens auteurs à succès, tel le nouvelliste britannique William Thomas Stead 93 . Bien que sa réputation de médium en fît un chroniqueur improbable, il avait acquis suffisamment d’audience pour interpeller l’opinion. Une de ses nouvelles, parue dans la Pall Mall Gazette 94 en 1886, intitulée How the Mail Steamer went down in Mid Atlantic 95 , avait soulevé des questions qui préoccupaient déjà le public. Il y relatait le destin dramatique d’un grand navire, dont bien des détails faisaient dorénavant penser aux paquebots géants de la White Star Line. La cinquième nuit de la traversée qui le conduit à New York, le héros de Stead monte prendre l’air sur le pont des embarcations. Là, il fait le compte des chaloupes et conclut que, leur nombre étant insuffisant, elles ne pourront en cas de malheur emporter que la moitié des passagers… Peu de temps après, un grand voilier heurte le
navire en plein brouillard, déchire sa coque et le fait rapidement sombrer. Aussitôt, la panique s’empare de l’équipage et des passagers, et l’on assiste à des scènes d’hystérie autour des canots que l’on tente de mettre à flot. On se bat pour les places disponibles et le capitaine est contraint de sortir son revolver et d’abattre plusieurs excités pour qu’on puisse mettre les embarcations à la mer. Et le romancier de conclure : « C’est exactement ce qui pourrait se produire, et ce qui se produira effectivement, si les transatlantiques sont envoyés en mer sans canots de sauvetage 96 . »
Fort de son succès, William Stead récupéra le thème en 1893 en publiant un nouveau récit dans la Review of Reviews , intitulé From the Old World to the New 97 . Sept ans s’étaient écoulés, mais le sujet était devenu d’une actualité brûlante. Cette fois, l’auteur embarquait ses personnages sur le Majestic de la White Star Line et non plus, comme en 1886, à bord d’un navire imaginaire. Or, bien qu’il se défendît de mettre directement en cause la compagnie de Joseph Bruce Ismay, l’auteur jetait un pavé dans la mare aux inquiétudes. Si la White Star n’en prit pas ombrage à l’époque de sa publication, elle fulminait désormais contre la récupération de cette littérature bon marché qui se nourrissait des névroses populaires. La presse et l’édition l’ayant remise au goût du jour, la psychose du naufrage dans les eaux glacées de l’Atlantique devenait un véritable phénomène de société qui nuisait par ailleurs à l’ensemble des compagnies maritimes.
On peut se demander pourquoi Joseph Ismay, que la notion de sécurité préoccupait, ne voulut pas prendre en compte cet avertissement, qui occupait de plus en plus l’espace public. Était-ce en raison des garanties que lui donnèrent les responsables du chantier naval, et plus particulièrement Thomas Andrews, ou pour ne pas entrer en conflit avec James Pirrie dont il redoutait l’autorité ?
Pour autant, l’armateur n’était pas dupe des conséquences économiques de cette polémique sur la confiance de la clientèle. D’autant que le Titanic était nommément la cible des critiques, après les mésaventures de son jumeau et le report de son voyage inaugural.
Le 24 février, comme en écho à cette littérature supposément prémonitoire, une nouvelle mésaventure à bord de l’ Olympic influençait directement le destin du Titanic . À deux mois de sa mise en service, et pour la seconde fois, voilà qu’il lui fallait d’urgence céder sa place dans la cale Thomson : l’ Olympic venait de perdre une pale d’hélice à son retour de New York !
La White Star Line accusa ce nouveau coup du sort, mais elle n’avait pas encore bu la coupe jusqu’à la lie. Le 1 er mars 1912, tous les mécaniciens furent donc une fois encore affectés
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