Il était une fois le Titanic
kilomètres au sud-est de Belfast, ce perfectionniste avait fréquenté la Royal Academical Institution jusqu’à l’âge de seize ans, avant d’entrer comme apprenti chez Harland & Wolff. Sa famille avait déboursé cent guinées pour qu’il fût formé à tous les métiers de la construction navale. Comme son oncle Pirrie, il fut successivement ébéniste, assembleur, forgeron, puis dessinateur, pour devenir enfin
architecte naval en chef et directeur du bureau d’études à l’âge de trente-neuf ans.
Les passagers le considéraient avec déférence et son attitude rassurante était fort appréciée. Extrêmement populaire auprès de tous ceux qui le fréquentaient, écrit Don Lynch, ce bourreau de travail était vu arpentant le chantier « coiffé d’un chapeau melon couvert de taches de peinture, les poches bourrées de plans, de dessins et de croquis 130 ». Son entregent faisait de cet homme discret un ambassadeur de charme, toujours bien mis, portant beau ses quarante ans à peine. Ce n’est donc pas sans raison qu’il entrera dans l’histoire avec un immense capital de sympathie.
Ce 12 avril en début de soirée, le paquebot français La Touraine , qui se rendait au Havre en provenance de New York, croisa la route du Titanic . Par radiotélégraphie, il lui signala que, deux jours plus tôt, s’étant trouvé à 19 heures GMT 131 par 49° 28’ de latitude nord et 50° 40’ de longitude ouest, il avait aperçu un énorme champ de glace inhabituel dans cette zone, ainsi que deux gros icebergs par 45° 20’ nord et 45° 09’ ouest, méridien de Paris. Apprenant le drame du Titanic lors de son arrivée au Havre, le capitaine Caussin déclarera à l’agence Presse Nouvelle qu’avant de contacter le commandant Smith il avait dû ralentir sa marche à 12 nœuds pendant plus de six heures pour quitter l’étendue de glace compacte qu’il avait rencontrée sur sa route. Peu de temps après, devait-il confier, « La Touraine longea un second champ de glace dans lequel on aperçut deux icebergs 132 ».
La passerelle fut immédiatement informée de la teneur du marconigramme 133 émis par La Touraine . Edward John Smith en prit connaissance et demanda qu’on l’informât de l’évolution de la situation. Pour l’heure, il n’envisageait
de modifier ni sa route ni sa vitesse. La nuit était claire et les eaux libres devant l’étrave du Titanic . Imperturbablement, il tracerait le même cap toute la nuit de ce vendredi.
À 23 heures, un incident provoqua une nouvelle inquiétude à la passerelle. La radio était subitement tombée en panne. Certes, les opérateurs Jack Phillips et Harold Bride pouvaient recevoir des messages, mais ils n’étaient plus en mesure d’émettre ! En cas d’urgence, ce pouvait être dramatique.
Les deux hommes en avertirent aussitôt l’officier de quart et se mirent au travail avec fébrilité, dans l’espoir de remettre leur émetteur en marche. Au bout de six heures, Phillips découvrit que deux fils s’étaient dessoudés. Tout rentrait dans l’ordre.
L’aube du 13 avril n’était pas encore levée. Sur le bureau, une énorme pile de télégrammes entassés depuis la veille attendait d’être transmise aux quatre coins du monde. Mais on était encore trop éloigné de Terre-Neuve pour émettre. Et les messages continuèrent de s’accumuler en attendant d’être adressés à leurs destinataires. Toute la journée du samedi, les passagers ne cesseront d’en déposer au guichet du bureau Marconi, plus « urgents » les uns que les autres.
Il faut dire que cette installation révolutionnaire ne laissait personne indifférent, chacun voulant en user malgré le coût élevé de la transmission, qui pour annoncer son arrivée, qui pour passer des ordres de Bourse ou tout simplement pour adresser quelques mots à des proches. À tel point que les opérateurs ne seront pas trop de deux pour absorber cette avalanche de courriers, au risque de négliger les informations sur la navigation, les avis de danger ou les demandes d’assistance transmis par les navires croisant sur zone. Louant ses services à la White Star Line comme aux autres compagnies, la société Marconi avait toutefois pour obligation de traiter les affaires maritimes en toute priorité. Mais, sur les grands paquebots où la clientèle était payante, ses employés privilégiaient généralement les messages personnels, nombreux et lucratifs.
Tous les matins, le bord
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