Il était une fois le Titanic
distribuait l’ Atlantic Daily Bulletin à ses passagers de première et de deuxième classe. Imprimée durant la nuit, cette feuille les informait sur la vie du navire, la distance parcourue, la vitesse et le cap, en affinant chaque jour un peu plus la date et l’heure d’arrivée à son quai de destination. On pouvait y découvrir aussi quelques nouvelles internationales captées au passage d’une station terrestre de radiotélégraphie, ainsi que les derniers cours de Londres et de Wall Street.
Il restait un jour et demi de navigation pour que le Titanic quittât la route dite du « grand cercle », afin de mettre le cap sur New York. Il se trouverait alors à cet endroit précis de l’Atlantique Nord que les gens de mer appellent familièrement « le coin de la rue ». Il s’agissait du point de virement des navires, officiellement établi en 1899. Ce point était fixé au croisement du 42 e degré de latitude nord et du 47 e de longitude ouest. Comme les autres bateaux, le Titanic avait prévu de mettre le cap au 266 pour venir de 24 degrés sur tribord, de sud 62° ouest à sud 86° ouest. Cette manœuvre permettait de contourner les bancs de growlers 134 dérivants qui, entre le mois de mars et le mois de juillet, trouvaient à cet endroit de l’océan des eaux suffisamment chaudes pour les disloquer, puis les disperser.
Mais cette année 1912 était exceptionnelle. La masse de glace qui s’était détachée de la banquise, sur la côte ouest du Groenland, était descendue bien plus bas que d’habitude. Si bien que le samedi 13 avril vers midi, bien avant de passer le point tournant, le commandant Smith, conscient du danger, comprit qu’il faudrait naviguer plus bas dans le sud pour contourner l’obstacle. Dix milles nautiques au moins, avant de prendre le cap de New York.
Au fil des heures, la température baissa considérablement. Dans la soirée du samedi, le thermomètre extérieur
descendit au-dessous de 10 °C. Il n’y avait plus âme qui vive sur les ponts-promenades.
À l’intérieur du fumoir de première classe, des témoins prétendront plus tard avoir vu le directeur de la White Star Line s’entretenir vivement avec le capitaine Smith. Des bribes de discussion leur seraient parvenues. Joseph Bruce Ismay aurait demandé au commandant de forcer les machines afin de donner au navire le maximum de sa puissance, de crainte que l’allongement de la route n’ait pour conséquence de retarder le navire. De prétendus paris sur l’heure d’arrivée du Titanic à New York auraient poussé certains passagers à souhaiter une telle performance. Ismay s’en serait-il fait l’interprète inconscient ? Rien n’autorise à le croire. Ni même à supposer que, dans le cas contraire, il eût été entendu par son commandant, seul maître à bord.
Il est imaginable, en revanche, qu’Ismay se soit aventuré à demander un essai de vitesse avant l’entrée dans la zone dangereuse des icebergs. Mais il est peu vraisemblable qu’il eût l’oreille du vieux Smith, déjà préoccupé par la situation inédite qui se présentait à lui et qu’il allait devoir affronter le lendemain.
6
L’ICEBERG IMPROBABLE
Le Titanic avait entamé la seconde partie de son voyage sous les meilleurs auspices. Le paquebot glissait sur une mer d’huile et rien ne devait plus perturber ce voyage inaugural. Le pari de 1907 paraissait gagné, d’ores et déjà.
Le commandant Smith tenait de plus en plus souvent compagnie à ses passagers, laissant au second capitaine Wilde le soin de gérer la bonne marche du navire. Il suffisait qu’on l’informât régulièrement des conditions de navigation et qu’on l’avertît si quelque danger venait à se présenter.
En ce dimanche matin, il avait pour tâche de présider un service œcuménique. À 10 h 30, il se rendit dans la salle à manger de première classe pour y lire l’Évangile et dire quelques prières traditionnelles destinées à la protection divine du navire et de ses occupants. Le chef d’orchestre Wallace Hartley et quatre de ses musiciens accompagnèrent l’hymne 418 du livre des Cantiques, repris en chœur par l’assistance.
Au même moment, le commissaire adjoint Reginald Baker conduisait un office anglican pour les passagers de deuxième classe, auquel participaient les trois autres musiciens de la formation. Quant aux catholiques des deuxième et troisième classe, ils purent successivement assister à une messe célébrée par le
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