Il était une fois le Titanic
growlers et des icebergs, il ne put donner mieux que 6 nœuds, tandis qu’il cherchait une sortie vers la mer libre. Pendant une heure, il dut ainsi naviguer cap à l’ouest avant de foncer à toute vapeur sur la zone du drame, au maximum de ses vieilles machines. Dans la chauffe, les hommes donnaient tout ce qu’ils pouvaient.
Après deux heures de navigation à plus de 13 nœuds, Lord et son équipage arrivèrent enfin sur zone. Ils y trouvèrent
le Carpathia , un paquebot de la Cunard arrivé quelques heures plus tôt et qui s’était dérouté en prenant tous les risques afin de recueillir les naufragés. Le second capitaine du Californian inscrivit sur le journal de bord : 43° 33’ nord, 50° 01’ ouest. L’arrivée du Carpathia quatre heures et demie après le naufrage discrédita le commandant Lord, accusé de n’avoir pas pris plus rapidement la mesure d’une tragédie qui s’était déroulée à quelques milles de son mouillage.
Arrivé à Boston le matin du 19 avril, l’équipage du Californian ne fut pas tout de suite incriminé par la presse, qui relaya ses explications sans les discuter. Ainsi dans l’ Evening Globe , où Stanley Lord expliquait qu’il avait dû naviguer à moins de 10 nœuds lorsqu’il avait repris sa route le matin du 15 avril : « Il nous a fallu éviter des icebergs énormes, contourner des glaces flottantes et nous frayer un chemin entre des obstacles insurmontables. Nous avons tourné dans tous les sens, revenant parfois sur nos pas, bref, nous avons manœuvré au jugé par des chenaux sinueux. » À quoi le journal répondait qu’il fallait être un navigateur singulièrement averti « pour s’aventurer dans des passes étroites serpentant au milieu de la banquise ». Avant de conclure que, même si l’on est pressé, « on est parfois obligé d’avancer au pas 174 »…
Stanley Lord dut néanmoins quitter la Leyland Line, même si les faits infirmaient que le navire aperçu durant la nuit fût le Titanic . Même les lettres de sympathie et de soutien que lui avait adressées le deuxième officier Lightoller 175 , rescapé du naufrage et donc témoin de moralité, ne lui avaient été d’aucun secours, ni contre l’attitude du ministère du Commerce qui l’avait à jamais discrédité, ni contre la légende
noire qui s’acharnait sur lui. La suspicion et l’opprobre s’attacheront au nom de Lord. Encore aujourd’hui, un siècle après les faits et malgré le réexamen de son accusation, il reste associé aux fantômes qui n’ont pas porté secours aux naufragés les plus célèbres de l’Histoire. Même la découverte de l’épave du Titanic , à 13 milles du point géographique où l’on croyait qu’il avait coulé, n’y changea rien. Elle confirme pourtant que le Californian ne se trouvait pas aussi près du navire naufragé qu’on l’avait prétendu.
Après la sortie du film de Roy Baker intitulé A Night to Remember , dans lequel le Californian est gravement mis en accusation 176 , le capitaine Lord reprit sa croisade contre les assertions et les idées reçues perpétuées depuis 1912. On était en 1958. Membre de la British Mercantile Marine Association, l’ancien commandant mandata son secrétaire général, Leslie Harrison, pour qu’il rouvrît le dossier. Mais ni l’auteur du livre, Walter Lord, ni le producteur du film, William McQuitty, ne jugèrent utile de corriger les attendus de l’histoire qu’ils avaient tirée de la catastrophe. Et le ministère du Commerce ne voulut pas davantage y donner suite car il estimait que c’était déjuger les conclusions que ses experts en avaient tirées à l’époque.
Stanley Lord mourut en 1962, mais Leslie Harrison continua de se battre pour que sa mémoire fût lavée des allégations de non-assistance dont on l’accusait. Le hasard voulut que cette année-là fût celle où Henrik Naess, l’ancien second du Samson , rendît publique sa version des faits concernant la responsabilité du chasseur de phoques. Harrison fit évidemment valoir l’importance de cette nouvelle pièce et réclama de nouveau qu’on rouvrît le dossier. Mais il semblait que la cause du Californian ne serait jamais entendue car, en 1965, l’administration lui signifia une nouvelle fin de non-recevoir.
Deux ans s’étaient encore écoulés quand, à la mort du passager de deuxième classe Lawrence Beesley, on
découvrit dans ses papiers une déclaration sous serment faite en 1963. Dans cette
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