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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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assiégeaient les magasins où les
commissaires au ravitaillement s’étaient barricadés en attendant des ordres
hypothétiques.
    La tempête avait masqué les empilements de corps, bosselant
de monticules blancs la rue qui grimpait vers la citadelle. À mi-parcours,
Fournereau et les siens se fondirent au millier de furieux qui frappaient
contre les volets massifs du magasin principal. D’une fenêtre, à l’étage, le
contrôleur Poissonnard les haranguait :
    — Attendez ! Il y en aura pour tout le
monde !
    — Qu’est-ce qu’on attend ?
    — Nous devons organiser les rations !
    — On va organiser nous-mêmes ! Ouvre !
    — Attendez…
    — Tais-toi, le porcelet, ou tu vas finir à la
broche !
    Une calèche dont l’artillerie avait enlevé les chevaux se
fraya un chemin, attelée à des voltigeurs, et, la foule aidant à la pousser,
elle se fracassa contre la porte ; un battant se mit à craquer, que
cinquante mains achevèrent d’arracher. Les lattes de la porte volaient en
morceaux pour agrandir l’entrée. Sans paroles, avec une vigueur de torrent, la
foule s’engouffra à l’intérieur du bâtiment et s’y répandit. Fournereau tenait
Ornella par le bras, sa bande le suivait. Ils se laissèrent porter dans des
salles remplies de caisses qu’un grand uhlan en tricorne ouvrait à la hache.
Levées à bout de bras, des panières se promenaient au-dessus des têtes. Les
premiers pillèrent les haricots, les sacs de farine, le riz. Les suivants
bondirent dans l’escalier. À l’étage, les ravitailleurs avaient coincé les
portes avec des barres ; elles ne résistèrent pas à la formidable poussée.
Les assiégeants découvrirent une nouvelle réserve. Poissonnard se disposait à
filer. Il avait assuré une échelle à l’extérieur d’une fenêtre, deux de ses
acolytes étaient déjà descendus par ce moyen ; des fourgons les recueillaient
à l’arrière de la bâtisse. Fournereau agrippa le contrôleur par les basques de
son habit bleu, au moment où il enjambait le rebord.
    — Tu emportes quoi, dans tes voitures ?
    — Service de Sa Majesté ! répondit Poissonnard
d’une voix enrouée.
    — Où est la viande ?
    — Les troupeaux ne sont jamais arrivés !
    Le docteur se pencha. Maintenant le contrôleur par la gorge,
il l’étranglait à moitié. En bas, ses collègues du ravitaillement
l’attendaient ; les cochers des fourgons, sur leurs sièges, rênes en main,
guettaient le signal du départ. Poissonnard gémissait :
    — Laissez-moi partir, je ne peux vous servir à rien.
    — À rien, c’est vrai. Va rejoindre les affameurs !
    D’un mouvement, Fournereau déséquilibra Poissonnard qui
bascula de son rebord et tomba en criant ; il s’écrasa sur la capote cirée
d’une voiture. Les cochers fouettèrent aussitôt leurs chevaux et les fourgons
disparurent au croisement des rues enneigées. Dans le magasin, le pillage
systématique ne s’était pas interrompu, tout disparaissait au fond des poches,
des sacs, des besaces ou des bonnets, on emportait même le bois des caisses
pour le prochain bivouac. Fournereau se baissa vers Ornella. Elle bourrait son
balluchon de légumes secs.
    — Ce n’est pas encore aujourd’hui qu’on va au paradis,
lui dit-il.
    — Alors ce sera demain, dit-elle avec un sourire
absent.
    Ils entendirent une canonnade au loin. L’une des armées de
Koutouzov attaquait sans doute l’arrière-garde.
     
    Les équipages empruntaient la route tracée par l’Empereur et
sa Garde, vingt-cinq lieues de plaine avant Krasnoïe, une bourgade où les
rejoindraient les corps d’armée de Davout, d’Eugène et de Ney qui devaient
quitter Smolensk par fractions. La berline des secrétaires et les fourgons de
leur cabinet avaient passé la nuit à couvert, sous les bouleaux d’une forêt,
entourés des bivouacs allumés par les tirailleurs de la Jeune Garde que
commandait un capitaine costaud, forte gueule mais attentif à ses hommes, nommé
Vautrin. Avant le jour il bousculait les dormeurs à coups de bâton ; ils
étaient étalés dans la neige, leurs capotes raides de verglas.
« Debout ! Debout ! Si vous dormez maintenant vous ne vous
réveillerez plus ! » Ils s’asseyaient, se levaient un par un,
aveuglés par la fumée des brasiers que les sous-officiers avaient surveillés
toute la nuit en cassant des branches pour les y jeter. « Debout ! La
peste soit de l’abruti qui dort trop ! » Ses

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