Jack Nicholson

joueur remplaçant, qui pouvait être très bon sur un tour de batte, mais pas sur tout le jeu », comme il se décrivait lui-même). Cette réputation était en partie due au rôle très médiatisé qu’il avait joué en tant que « consultant spécial » sur le Bonnie and Clyde avec Warren Beatty. Il était considéré comme un expert du système : simple, discret, amusant, sûr de lui et fier. Les gens croyaient en lui et en ses opinions et pensaient qu’il ne tarderait pas à façonner un scénario de génie.
    À la Columbia, Gerald Ayres, l’un des cadres qui avait joué un rôle dans la production d’ Easy Rider , venait de lire les épreuves d’un nouveau roman de Darryl Ponicsan. The Last Detail, ou La Dernière Corvée, traitait de deux soldats de la Marine qui faisaient la tournée des bars et des maisons closes tout en conduisant un jeune matelot en prison.
    Ayres avait connu Towne à l’époque où ce dernier avait écrit un western, The Long Ride Home, que Roger Corman aurait dû diriger pour la Columbia (une débâcle qui avait entraîné le renvoi de Richard Corman et dont Towne s’était sorti avec un pseudonyme). Ayres envoya à Towne les épreuves de La Dernière Corvée et fit en sorte que Nicholson reçoive lui aussi un exemplaire du nouveau roman.
    Towne, enthousiaste, rédigea une adaptation du roman de Ponicsan qui s’écartait de façon significative et artistique de l’original. Tout d’abord, il faut savoir que le titre du roman faisait référence au fait que Billy « Bad-Ass » Buddusky, le personnage que devait jouer Nicholson, avait une crise cardiaque et mourait après avoir achevé la corvée qui consistait à escorter le prisonnier. Mais dans le script de Towne, le personnage restait en vie (le titre n’avait ainsi par conséquent plus aucune explication).
    Ce fut Towne qui rédigea ou améliora les scènes les plus mémorables : « Bad-Ass » apprenant à un jeune marin, Meadows, à insister pour que ses œufs soient cuits à son goût (« brouillés, mais super lâches ») ; Meadows rendant visite à sa mère (elle est bien chez elle dans le livre, mais, de façon très émouvante, absente dans le film) ; le grand marin faisant du patin à glace et faisant l’amour pour la première fois. Dans une scène située dans un logement de hippies, l’iconoclaste Towne renversait le choc culturel d’Easy Rider  : les hippies avaient l’air détestable tandis que les soldats de la Marine recevaient un traitement sympathique.
    Nicholson apprécia beaucoup le roman, et encore plus le script, et il s’engagea de bon cœur auprès d’Ayres et de Towne. Il se reconnaissait dans ce marin vagabond qui confessait lire « beaucoup de livres » (et dont l’un des auteurs préférés, d’après le roman de Ponicsan, n’était autre que Camus). L’aspect stimulant du projet était en partie dû au fait que le rôle de Jack serait traité de façon égale à celui de l’autre soldat, un marin noir. Ce serait une confrontation d’acteurs opposant Nicholson et Rupert Crosse, qui était ami avec l’acteur et le réalisateur. Crosse, nominé à l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle pour Reivers et comédien récurrent de la courte série télé comique The Partners, était un membre du cercle dont le talent avait toujours été admiré de tous.
    Le facteur sonne toujours deux fois devait être tourné en premier – d’autant plus que la Columbia jeta un regard sur le langage vernaculaire très direct du script de Towne et menaça de retirer son engagement. Mais Towne refusa de modifier le style qu’il avait employé et ne voulut pas plier, pour le principe. La Columbia décida donc de reporter La Dernière Corvée tout en mettant le scénariste et le producteur sous pression.
    Towne dîna avec Robert Evans un soir, à l’époque de ces limbes incertains, et il dit au chef de la production de la Paramount qu’il était en train de réfléchir sur une idée de scénario original. Il s’agissait d’une histoire de meurtre avec un détective divorcé propulsé au milieu d’une bataille concernant le contrôle de l’eau dans le Los Angeles des années 1930. Bien sûr, le détective, dans le style de Bogart, serait joué par Jack Nicholson, leur ami commun.
    Immédiatement, Evans reconnut le potentiel de Chinatown, titre que Towne avait déjà donné à son idée, et il proposa au scénariste de poser une option sur le script et de financer sa