Jack Nicholson

de sortir de chez lui. Les deux hommes s’étaient disputés sur le plateau de The Two Jakes et Kenney avait quitté Hollywood. Kenney avait bien réussi sous la houlette de Nicholson, mais il faisait partie des gens qui n’avaient pas supporté l’ambiance du film et se sentaient victimes du style de vie de Jack.
    Quand Nicholson tourna les talons et remonta dans sa voiture, Kenney, qui était ivre, sortit en titubant de sa maison et frappa au carreau de la voiture. Jack, déçu, demanda à son chauffeur de le reconduire à New York. Il reconnaissait qu’il pouvait se montrer très dur et qu’il avait mis à l’écart certains de ses vieux amis, mais il espérait toujours qu’il pourrait à un moment ou un autre recoller les morceaux.
    Sur la route de New York, Nicholson passa à quelques pas de la maison de Donald Furcillo-Rose. L’homme qui prétendait être le père de Nicholson allait bientôt avoir 80 ans. Furcillo-Rose ne se faisait plus d’illusions sur une éventuelle rencontre avec son fils. Et il ne pouvait de toute façon plus espérer voir un jour Jack Nicholson. Furcillo-Rose avait perdu la vue, était devenu aveugle.
    Dans l’avion qui le ramenait en Californie, Nicholson discuta avec son ami Danny DeVito. DeVito s’était servi de la popularité qu’il avait acquise en tant qu’acteur pour se lancer dans la mise en scène – il avait d’abord réalisé Balance maman hors du train, puis La Guerre des Rose, deux comédies à l’humour noir et décalé. DeVito parla à Nicholson d’un script qui avait été écrit par David Mamet, une biographie sérieuse du chef de syndicat américain Jimmy Hoffa.
    The Two Jakes sortit dans les salles à la fin de l’été 1990, alors que Nicholson était en France. Il y avait eu beaucoup de publicité et beaucoup d’interviews alors que le film était encore en production, et le visage déterminé de Nicholson avait fait la couverture de nombreux magazines.
    On peut dire sans prendre de risques que la plupart des critiques n’accueillirent pas le film chaleureusement. La structure et la continuité n’avaient jamais fait partie des forces de Nicholson. La vie de l’acteur n’était pas structurée. On ne pouvait pas attendre de lui qu’il fasse un film structuré. Mais avec Towne, Evans et lui-même impliqués dans le projet, personne ne s’attendait à ce que la suite de Chinatown soit si molle, floue et tortueuse.
    La stratégie visuelle de Jack, toujours créative, avait atteint des extrêmes. Des formes étranges fixées en gros plan (la longue image d’ouverture est celle des chaussures de Gittes). Le point de vue était plus subjectif et personnel que celui de Chinatown, la caméra étant souvent placée au-dessus de l’épaule de Gittes ou parfois entre les jambes du détective. Nicholson avait conservé quelques idées folles de l’époque des films de motards.
    Le film avait quelques points forts, mais son intrigue pouvait difficilement être sondée. Ceci étant, le problème vient moins du fait que les critiques ont eu du mal à saisir le film que du fait qu’ils ont eu du mal à l’apprécier. Chinatown avait une histoire prenante et différents niveaux d’implication. The Two Jakes avait un réalisateur et ses idées. Le film paraissait moins vécu que forcé.
    Les scènes étaient imprégnées de la personnalité de Nicholson : de son ironie, son humour sarcastique, et ses surprenantes explosions de sentimentalisme maladroit (Gittes pleure lorsqu’il revoit le dossier Evelyn Mulwray). La fin – Jake Berman sacrifiant sa vie pour celle de sa femme – était mielleuse et insipide. Le jeu des acteurs souffrait de l’absence de la netteté qu’aurait pu dicter Polanski ; si Rebecca Broussard s’était vu accorder un généreux temps d’écran, son rôle de secrétaire dont on avait tant parlé n’apportait que très peu de choses au film.
    The Two Jakes quitta l’affiche peu de temps après sa sortie dans les salles, et ne rapporta que 9 millions de dollars en Amérique.
    Rebecca Broussard et sa fille Lorraine vivaient dans une maison qui comptait deux chambres et qui était située au bord d’une route de canyon de la vallée de San Fernando. Rebecca obtint une bonne et une aide ménagère, et avait conclu un arrangement avec Nicholson par lequel elle reconnaissait son autorité parentale et les privilèges qu’il avait vis-à-vis de sa fille illégitime.
    « C’est un arrangement atypique, déclara Nicholson