Jacques Cartier
pour récompenser mes services, anoblira le nom que tu portes, oui, je le déclare, je le prédis, je le prophétise, par ma Catherine, ma bonne Catherine ! puisque j'ai pris l'habitude de t'invoquer dans toutes mes paroles, comme dans tous mes actes ! acheva le pilote en baisant sa femme au front.
A cet instant, l'ombre d'un corps parut s'établir devant la fenêtre, à travers laquelle la lune déchirait ses rayons, qui venaient former, sur les dalles de la salle, un vaste treillis d'ébène à fond d'argent.
La vue de cette ombre attira aussitôt l'attention de Jacques Cartier, alors debout vis à vis de la fenêtre.
—Qui diantre peut être là à nous espionner ? dit-il, se dégageant doucement de l'étreinte de Catherine.
Ensuite, il s'élança vers la porte et l'ouvrit brusquement.
Mais si rapide qu'eût été son mouvement, il trouva déserte la petite place sur laquelle donnait sa maison.
Cartier rentra rêveur dans la salle.
—Si je ne savais ce démon de gourmette loin d'ici, je serais disposé à penser que c'était lui, disait-il entre ses dents.
—Oh ! fi ! c'est vilain ; vous aussi, Jacques, vous êtes prévenu contre le pauvre garçon ; tout le monde lui en veut ! fit dame Catherine d'un ton d'affectueux reproche.
—C'est, reprit le pilote, que sa conduite est singulièrement suspecte ; depuis ces derniers jours surtout...
Enfin !... Ah ! qu'il me tarde d'avoir des nouvelles... où peut être cette petite fille ?... Quelle heure est-il ?
—Trois heures, mon ami ; vous devriez vous reposer !
—Me reposer ! me reposer ! s'écria Cartier, frappant du pied et se mettant à arpenter la pièce. Oh ! je n'y tiens pas. Le sang me bout dans les veines... Si j'allais visiter nos nefs ! Qui dit que, d'aventure, l'un de mes mariniers ne l'aura pas aperçue ? La plupart la connaissent.
—Nous n'y avions pas songé, Jacques !
—Oui ; j'y cours.
Ce disant, le capitaine quitta de nouveau son habitation et se rendit dans le port, où il prit une embarcation qui le conduisit à bord de deux navires d'un faible tonnage, mouillés côte à côte, à l'embouchure de la Rance.
Ces bâtiments étaient ceux dont, en vertu d'une royale autorisation, Cartier devait disposer pour aller tenter des découvertes «ès terres-neuves.»
Le pilote questionna ses «mariniers,» mais ceux-ci ne savaient rien. Depuis un mois, du reste, le plus grand nombre demeurait jour et nuit enfermé dans les vaisseaux, telle était la crainte qu'ils ne désertassent. Et la veille, comme l'on attendait, à chaque moment, le signal du départ, tous ayant entendu la messe, communié dans les entreponts, pas un n'avait mis pied à terre.
Quand Jacques, fatigué de cette longue nuit d'agitation, quitta les navires, un homme de garde au bossoir lui demanda respectueusement :
—Pensez-vous, maître, que nous mettrons à la voile aujourd'hui ?
—Je ne sais, répondit évasivement Cartier.
—Le vent est bon, cependant, repartit le factionnaire.
—Bon ou mauvais, que m'importe ! fit Cartier, d'un ton qui contrastait étrangement avec sa fermeté habituelle.
Et il reprit le chemin de son domicile, dans un état voisin de l'abattement.
Le jour commençait à poindre.
Jacques Cartier rentra doucement dans la salle basse. Épuisée par les émotions, dame Catherine dormait, près du foyer éteint, la tête appuyée contre Manon qui égrenait son chapelet. Sans troubler son sommeil, le pilote ressortit, et, s'autorisant du nom du vice-amiral, s'introduisit au château, où il monta dans le donjon.
Parvenu au sommet, ses regards se portèrent avidement sur la route de Paramé.
O bonheur là une petite distance des remparts de la ville, s'avançait un groupe de quatre personnes, que l'oeil exercé du marin n'eut pas de peine à reconnaître.
C'était Constance, marchant entre Étienne Noël, Jean Morbihan et Antoine Desgranches.
Jacques redescendit bien vite et annonça à sa femme cette bonne nouvelle.
En l'apprenant, Catherine faillit s'évanouir. Mais si un excès de joie fait mal, ce mal est de courte durée. On en guérit aisément. Aussitôt remise, dame Catherine, sans attendre son époux, partit comme une flèche à la rencontre de la jeune fille.
Je renonce à décrire les félicités de cette réunion. La vivacité des premiers épanchements apaisée, on passa aux explications. Constance avait, disait-elle, été enlevée par une troupe de gens qui rôdaient près de Saint-Malo, et qui l'avaient conduite dans une
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