Je n'aurai pas le temps

jusqu’à la disparition des étoiles dans la lumière de l’aube.
    Pour illustrer les événements qui accompagnent la naissance, la vie et la mort des étoiles, j’ai entrepris de projeter sur les murs blancs de la cafétéria des diapositives de galaxies et de nébuleuses – ce que ma petite-fille Emmanuelle de trois ans appelait « le pestacle de grand-papa Hubert ». On parlait ensuite de trous noirs, de fontaines blanches, de civilisations extraterrestres, de religions, de métaphysique, etc., tout y passait !
    Un jour, à la fin d’une de ces séances, une amie m’a dit : « Observe la curiosité que ces sujets suscitent ! Tu devrais écrire tout cela. »
    Mes recherches me laissaient peu de temps pour un tel travail. Pourtant, je me pris au jeu et je mis en chantier un grand livre illustré de somptueuses images astronomiques.Je choisis pour thème l’histoire de l’Univers sous l’angle de notre relation personnelle au cosmos, la formation des atomes dans les creusets stellaires, l’apparition des molécules puis des cellules dans l’eau tiède des océans primitifs de notre planète, etc.
    Il fallait trouver un titre. « Évolution cosmique » était tout à fait correct sur le plan scientifique. Mais face à la portée du propos et à l’émotion qu’il est susceptible d’engendrer, il me semblait plat et déplanant.
    Un poème de Paul Valéry m’est alors revenu en mémoire :
    Patience, patience,
    Patience dans l’azur ;
    Chaque atome de silence
    Est la chance
    D’un fruit mûr.
    « Patience » évoque la dimension temporelle de l’expérience-Univers : on pense à l’attente silencieuse et recueillie de la femme enceinte. Le mot « azur » possède une connotation poétique, hiératique, solennelle, que n’a pas son analogue le mot « bleu ». Le mariage des deux m’a paru propre à faire passer ce que je ressentais.
    Se posa ensuite la question de trouver un éditeur. Là, rien n’allait plus ! « Votre livre sera trop cher ! La conjoncture économique actuelle n’est pas favorable, et puis l’astronomie, ça n’intéresse personne. Faites donc plutôt un abécédaire : A comme Aldébaran, B comme Bételgeuse, C comme Capella… »
    Pour réduire le coût du projet, je me résignai à une version abrégée, avec quelques photos en noir et blanc regroupées dans un cahier intérieur. Je me remis en quête d’un éditeur. Peine perdue ! Plus de trente maisons d’édition me renvoyèrent mon manuscrit avec quelques mots de pure politesse. Découragé, j’allais le ranger dansun tiroir, décidé à l’oublier, mais le sort en décida autrement.
    C’est en effet à ce moment-là que Jean-Marc Lévy-Leblond, un ami physicien, me proposa d’écrire un livre pour la collection « Science ouverte » qu’il dirigeait aux Éditions du Seuil. Je lui ai immédiatement envoyé mon ouvrage. Sa réaction fut très positive. Il m’a reçu chez lui pendant trois jours pour retravailler le texte et le livre fut publié en 1981.
    Les débuts furent lents, jusqu’à l’intervention d’Évelyne Cazade, attachée de presse au Seuil. Elle entreprit de faire le siège du bureau de Bernard Pivot. Son émission télévisée, « Apostrophes », jouait alors un rôle quasiment mythique dans le secteur littéraire. Invoquant sa méconnaissance des sciences, Pivot hésitait à recevoir des scientifiques. À force de patience et d’imagination, Évelyne Cazade – une de ces personnes pour lesquelles le mot « non » n’est pas une réponse – réussit à le convaincre d’y présenter le livre. Il connut alors un succès rapide.
    Il y a un seuil à partir duquel une carrière médiatique démarre d’elle-même. Un titre qui marche entraîne dans sa foulée des tas d’interviews. Des chroniqueurs à la radio et à la télévision, des directeurs de Maisons de la culture, des enseignants universitaires et du secondaire, invitent l’auteur à s’exprimer devant leurs auditoires, lui proposant à cette occasion une séance de dédicaces. Ainsi je me suis vu progressivement entraîné dans une activité qui risquait d’occuper une fraction de plus en plus importante de mon temps et, si je n’y prenais garde, de le dévorer entièrement. Je pris alors la décision de ne pas renoncer à tout ce qui fait, pour moi, le plaisir de la vie : acquérir des connaissances nouvelles, participer à la recherche en astrophysique, me retrouver avec les gens que j’aime,