Je n'aurai pas le temps
des étudiants… Des prisonniers, des malvoyants, des malentendants ou encore des personnes séjournant dans des instituts psychiatriques… Des congressistes : médecins, notaires, juges, hommes politiques de tous partis… J’ai été invité à la relater dans de nombreux pays.
Un événement m’a particulièrement marqué. C’était à Québec, où je faisais une conférence dans un hôpital. Je revois parfaitement un jeune homme assis devant moi dans un fauteuil roulant, à hauteur des premiers rangs. Ses yeux brillaient pendant que je parlais. Lorsque j’eus terminé, un soignant le conduisit vers moi. Atteint d’une dégénérescence musculaire, il pouvait à peine parler et c’est avec difficulté qu’il articula : « Ces connaissances que vous nous apportez sont les seules choses qui me donnent envie de continuer à me battre pour rester en vie. »
La moins belle histoire
Certains lecteurs de Patience dans l’azur m’ont fait observer que je n’abordais qu’un seul aspect de la réalité.La dédicace – « À tous ceux que le monde émerveille » – laissait entrevoir le choix des thèmes. J’y abordais la « face solaire » du monde. J’en ignorais la face sombre – guerres, massacres, génocides, haines raciales, oppressions, crimes de toutes sortes : l’horreur qui nous est présentée quotidiennement dans les journaux ou les reportages télévisés.
Ces remarques m’ont amené à réfléchir sur une réalité que j’avais côtoyée durant mes années d’études et qui constituait alors la plus grande des menaces pour l’humanité : les arsenaux de bombes atomiques stockées par les deux superpuissances ennemies (les États-Unis et l’URSS). C’est ainsi que j’ai commencé à rédiger L’Heure de s’enivrer (1984).
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, après les explosions nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki, l’armée américaine, faisant fi des recommandations de la plupart des physiciens (mais pas de tous…), mit en chantier la bombe à hydrogène. La conséquence directe fut que les Soviétiques la fabriquèrent eux aussi sans tarder. Résultat : deux États rivaux pointant l’un sur l’autre des armes nucléaires d’une puissance de plus de 5 000 mégatonnes, capables d’atteindre leurs cibles en seulement quinze minutes. On estimait que le choc de la déflagration et les nuées radioactives feraient plus d’un milliard de victimes. Sans compter les effets secondaires, qui élimineraient probablement le reste de l’humanité.
À tout instant, et plus particulièrement pendant les grandes crises politiques (guerre de Corée, débarquement dans la baie des Cochons à Cuba), chacun redoutait le déclenchement du cataclysme. Au cours d’un de ces moments de tension, un journal américain, Bulletin of the Atomic Scientists , publia, à la une de ses numéros successifs, l’image d’une horloge dont les aiguilles oscillaient entre onze heures et demie et minuit moins cinq, selon que la situation devenait plus ou moins critique. La « terreur nucléaire » s’était installée dans les esprits.
Pour placer cette situation dans un cadre plus vaste, j’ajoutai alors à mes conférences une finale intitulée « Le drame cosmique en trois actes », qui se déroulait ainsi :
1er acte : L’Univers engendre la complexité.
2e acte : La complexité engendre l’efficacité. Plus un organisme est complexe, plus il est performant et capable de modifier radicalement son environnement.
3e acte : L’efficacité n’engendre pas nécessairement le « sens ». Elle peut aussi générer du « non-sens ». Si on me demandait : « Qu’est-ce que le sens ? » je répondrais en paraphrasant Albert Camus lorsqu’il écrivait : « La vérité, je ne sais pas ce que c’est, mais le mensonge, je le sais. » Il est en effet plus facile d’identifier le non-sens que le sens.
La terreur nucléaire a pris fin dans les années 1980. Sous la direction de l’astrophysicien Carl Sagan, un groupe de scientifiques avait modélisé une guerre atomique mondiale. Selon le scénario, il en résulterait de gigantesques fumées provoquées par des incendies généralisés. Ces nuées opaques couvriraient la planète et empêcheraient la lumière solaire de l’atteindre. Un « hiver nucléaire » s’étendrait alors sur la Terre qui pourrait largement éliminer l’espèce humaine.
Ce travail eut un effet radical sur les institutions
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