Je n'aurai pas le temps
présentation et je m’exécute devant un auditoire d’hommes coiffés du turban traditionnel. À la fin de la causerie, l’un d’entre eux se lève, portant ostensiblement à la main un gros livre relié en cuir. Je pense au Coran et pressens une confrontation désagréable.
« Puis-je venir près de vous ?
– Bien sûr ! Venez. »
Il s’avance lentement et, d’un geste solennel, dépose l’ouvrage sur ma table de conférencier : « Vous reconnaissez ce livre ? » Il l’ouvre et… c’est Patience dans l’azur .
Se tournant alors vers le public, il m’interroge haut et fort : « Le titre de votre conférence est bien “Les premiers temps de l’Univers” ? Alors, expliquez-moi : pourquoi n’avez-vous pas parlé du Big Bang ? »
Une vive discussion en anglais s’ensuit, ponctuée depropos révélateurs de ce qui me fut confirmé par la suite : les pays du golfe Persique sont le lieu d’une confrontation entre deux groupes puissants, que l’on pourrait appeler, pour simplifier, les conservateurs et les libéraux. D’un côté, depuis le retour de l’imam Khomeyni en Iran, certains mouvements islamistes radicaux prônent un farouche repli des sociétés musulmanes sur elles-mêmes, refusant tout apport de la culture occidentale. À l’opposé, d’autres personnes voudraient entrer de plain-pied dans la mondialisation du commerce et développer les échanges avec le reste du monde. Sans le vouloir, j’étais pris au cœur même d’un conflit, qui trouvait à s’alimenter autour du thème « Big Bang or not Big Bang » .
Cela s’est heureusement terminé autour d’un buffet garni d’excellents vins français. Oui… même à Ryad !
Chapitre 29
Vulgarisateur médiatique
J amais, pendant mes études ou au cours de mes premières années de professorat, je n’ai pensé devenir vulgarisateur scientifique. Je concevais mon avenir associé à un laboratoire au sein duquel je ferais de la recherche, assurant parallèlement la direction de thèses et, surtout, enseignant à un niveau universitaire.
C’est à l’occasion de débats publics sur des sujets scientifiques variés que j’ai commencé ma carrière médiatique. Je me souviens notamment d’une table ronde sur le thème : « De l’énergie nucléaire comme source d’énergie pour l’humanité » ! À Cornell, nos professeurs – Hans Bethe, Philip Morrison – en étaient d’ardents défenseurs et leur enthousiasme était contagieux. Selon eux, le nucléaire, c’était la fin de la pauvreté dans le monde, l’énergie gratuite pour tous. Pensez donc : un gramme d’uranium contient autant d’énergie qu’une tonne de pétrole !
Pourtant, déjà, nombreux étaient ceux qui s’inquiétaient des retombées de cette industrie. Lors d’un débat à Montréal, Pierre Trudeau, futur Premier ministre du Canada mais à cette époque membre d’une opposition assez radicale, avait développé les arguments qui motivaient ses réticences. Emporté par l’optimisme de mes maîtres, j’avais alors exprimé ma conviction : les problèmes évoqués étaient réels, bien sûr, mais ils seraient rapidement résolus. Il a cependant bien fallu se rendre à l’évidence : les difficultés s’accumulaient et les solutions tardaient à venir. Elles tardent encore…
Dans les années 1970, Robert Clarke animait une émission très populaire à la télévision française : « L’Avenir du futur ». On y présentait un film à la suite duquel un débat avait lieu sur les implications scientifiques ou sociales du sujet traité. Il m’y a invité plusieurs fois. Je me rappelle en particulier d’une discussion assez vive, à propos des soucoupes volantes, entre trois scientifiques et deux psychanalystes. Je me trouvais le plus souvent en accord avec ces derniers.
Cependant, c’est lors de vacances dans un VVF (Villages Vacances Familles) « Les Cigales », à Carry-le-Rouet près de Marseille, qu’a réellement commencé mon implication dans le domaine de la vulgarisation. Une fois les enfants couchés, les parents avaient pris l’habitude de se réunir pour parler de leurs métiers. J’ai vite ressenti chez eux un vif intérêt pour l’astronomie. Les questions fusaient et, quand la nuit était claire, j’illustrais mes propos sur la voûte étoilée, désignant tour à tour la Voie lactée, les constellations et les planètes visibles à ce moment. La séance se prolongeait quelquefois
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