Je n'aurai pas le temps
secondes, le conférencier doit, à partir des mots, du ton de la question, de la gestuelle, évaluer le contexte, préparer sa réponse et la donner sans attendre. Si l’interrogation porte sur un sujet scientifique, à quel niveau répondre ? Quels mots sont adaptés ? Est-on sûr que la personne attend vraiment une explication ou veut-elle simplement épater l’auditoire ? La situation est encore plus délicate si la question se situe hors du cadre scientifique, si elle a des connotations sociales ou religieuses. S’il s’agit de l’incontournable « Et Dieu, là-dedans ? », la formulation devra alors s’adapter au profil du questionneur : comment se situe-t-il par rapport à ce thème ? Les cas sont variés : s’agit-il de quelqu’un en recherche spirituelle ? d’un athée militant ? d’un illuminé issu d’une secte ? d’un intégriste débordant de certitudes ? etc.
Dernière recommandation
Ne jamais, au grand jamais, humilier un auditeur, quelle que soit la question posée, même si elle paraît idiote ou dénuée d’à-propos. Se rappeler qu’il faut à certaines personnes beaucoup de courage pour oser s’exprimer en public. Trouver un moyen de la reformuler sans trop la déformer, mais fournir une réponse cohérente avec le thème de la causerie, et pourquoi pas, aller plus loin : « Si je vous ai bien compris, ce que vous me demandez, c’est… » Ainsi chacun y trouvera son compte.
Question de contexte
En entrant dans la salle, l’orateur aperçoit des personnes assises, prêtes à l’écouter. Leur présence manifeste leur désir d’en apprendre un peu plus sur le sujet annoncé par le titre de la causerie. Son rôle est clair : délivrer les informations appropriées. Voilà le dénominateur commun à toute conférence pour tous les publics partout dans le monde. Mais il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg que représente cet événement.
La partie qui lui est cachée, c’est la réalité humaine spécifique du groupe auquel il s’adresse. Les résonances qu’elle va faire vibrer chez chacun. Là aussi il faudra s’adapter rapidement. Voici deux anecdotes qui illustrent bien cette situation.
Le premier événement se passe dans un Institut d’études du pétrole près d’Alger. Je m’adresse à un groupe d’ingénieurs. Après un certain temps, je sens monter une tension que je n’arrive pas à contrôler. L’ambiance devient houleuse, désagréable. Je n’arrive pas à lire dans les yeux des auditeurs les motifs de cette animosité. Mon discours serait-il trop difficile ? Aurais-je surestimé le niveau de leurs connaissances scientifiques ? Pourtant, ce sont des ingénieurs. Je reprends mon propos, le simplifiant, définissant chaque mot, élaborant chaque argument. Peine perdue ! Rien n’y fait. L’atmosphère s’alourdit de plus belle. Chuchotements et éternuements dans la salle.
Je termine rapidement et passe à la période de questions.
Un jeune homme se lève et dit haineusement : « C’est bien ça, vous, les Français : tous pareils. Vous nous prenez pour des ignorants. Vous venez bêtifier du haut de votre grandeur. » Je comprends mon erreur. J’ai ignoré le contexte historique entre les Français et les Nord-Africains, les séquelles laissées par la longue période de colonisation,l’oppression, la domination, le mépris toujours présent chez bon nombre de Français à l’étranger. Et surtout, chez les Maghrébins, il y a le désir d’être reconnus dans leur identité et leur culture.
Pour tenter de réparer ma gaffe, je lui dis : « Posez-moi une question. » Dans un langage pointu, il m’interroge sur l’origine de l’invariance de Lorentz dans le cadre de la théorie de la relativité d’Einstein. C’est ma chance de me rattraper, je lui réponds longuement, en ne ménageant pas les mots techniques et les raisonnements compliqués. Pendant que je m’appesantis sur le sujet, je sens l’ambiance se détendre.
L’autre événement se situe à l’université de Ryad en Arabie saoudite. On m’a invité à faire une conférence dont le titre est « Les premiers temps de l’Univers ». Quelques minutes avant le début, un des organisateurs vient me souffler à l’oreille : « Si vous pouviez éviter de parler du Big Bang : ça gêne ici… »
Étonné, je lui réponds : « Mais comment faire alors ?
– Parlez plutôt de la formation de la Terre. »
Je réorganise ma
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