Je n'aurai pas le temps

Dès les premiers mots, une gêne s’installe. Il y a un décalage évident entre la situation et la réalité. Il n’y a que nous deux dans la pièce ! Nous nous sommes regardés et avons éclaté de rire… J’ai repris le cours sous la forme d’une conversation informelle.
    On me demande parfois si j’ai le trac avant une conférence. Il me suffit de penser que toutes ces figures devantmoi, alignées rangée après rangée jusqu’à disparaître dans le faible éclairage du fond, ne forment pas une foule mais des personnes isolées venues ici avec confiance et espoir. Ces yeux si nombreux qui expriment le désir de connaissances nouvelles sont autant de fois ceux de cet étudiant le jour de la tempête de neige. Je m’adresse à chacun en particulier, comme dans une conversation à deux. Cette pensée suffit à neutraliser chez moi cette tension qu’on appelle le trac.

Chapitre 11
    À la Nasa : une feuille d’aluminium sur la Lune
    E n 1957, les Russes mettent en orbite autour de la Terre leurs premiers Spoutniks. Leurs passages, que les Américains captent par radio, les plongent dans une véritable hystérie. « Les communistes sont au-dessus de nos têtes. »
    L’âpre compétition entre les États-Unis et l’URSS pour la conquête de l’espace amène Eisenhower, alors président des États-Unis, à fonder la Nasa (National Aeronautics and Space Administration). Cet institut regroupe les laboratoires de recherche de l’armée, de la marine et de l’aviation américaines. Sa première mission : envoyer des hommes sur la Lune avant 1970.
    De nombreux projets voient le jour : étude des couches supérieures de l’atmosphère terrestre, du champ magnétique en haute altitude et, d’une façon générale, exploration du Système solaire. L’objectif est d’obtenir, à partir des mesures effectuées par les instruments en orbite, des connaissances nouvelles sur la physique des planètes et leur environnement, sur des phénomènes propres à l’activité du Soleil et de leur influence dans l’espace, et, à plus long terme, sur l’origine et l’histoire du Système solaire.
    Exploiter les données des satellites
    Un problème se pose au départ. Comment analyser tous les résultats numériques qui seront transmis au sol par télémétrie ? Comment ne pas se perdre dans ce flot de données qui va bientôt déferler ? Il faut d’abord former des équipes d’astrophysiciens théoriciens prêts à les interpréter.
    La Nasa, en collaboration avec l’université Columbia, entreprend alors de créer des départements d’études spatiales dans les universités américaines et de former les enseignants et les chercheurs qui devront les animer. Ce sera la mission de l’Institute for Space Studies, spécialement fondé à cette fin.
    Un ami, Hong Yee Chiu, un astrophysicien chinois, est impliqué dans ce projet et me demande si j’accepterais d’en faire partie. L’idée de participer à une telle entreprise me séduit et je lui donne rapidement mon accord. Je conserve cependant mon poste de professeur à l’université de Montréal et je fais la navette entre ma ville natale et New York, où se trouve l’institut, pour participer à cet enseignement tout en y poursuivant mes recherches de nucléosynthèse.
    J’y donnais des cours pendant les mois d’été. Dès la fin des classes à Montréal, toute la famille s’installait pour quelques mois dans l’État du New Jersey, à proximité de New York. Avec les enfants, nous avons passé de nombreuses heures au Musée d’histoire naturelle et au Jardin zoologique du Bronx, pour ensuite nous baigner dans la magnifique Jones Beach à Coney Island.
    Ma femme, enceinte, allait accoucher pendant un de ces séjours. Ayant déjà trois garçons, je désirais ardemment avoir une fille. Depuis petit j’en rêvais.
    À cette époque, on refusait au mari l’entrée dans la salle d’accouchement. Dans la salle d’attente, les hommes sont nombreux, la fumée est épaisse et les cendriers débordent.Le gynécologue m’invite à retourner à mon travail : « Ça va être encore long, on vous appellera. » Retour à mon bureau où, l’oreille tendue, je n’arrive pas à travailler. Ça sonne : « Vous avez une jolie petite fille. » Je suis sur un nuage. Je prends ma voiture pour aller à l’hôpital. Incapable de me concentrer sur la conduite, je roule lentement et longe les parois de l’autoroute. Un flic m’arrête : « Vous