Je n'aurai pas le temps
Johannes Geiss, de l’université de Berne en Suisse. J’ai tout de suite apprécié son affabilité et sa gentillesse. Mais aussi son attitude ironique et légèrement insolente par rapport à certaines théories généralement acceptées par nos confrères. À la fin des conférences, je ne manquais jamais de lui demander ses impressions. Nous avons eu immédiatement un bon contact, qui s’est transformé en une longue et fructueuse collaboration. Nous échangeons régulièrement nos opinions sur les dernières découvertes au cours de longues conversations téléphoniques. Lorsqu’il appelle à la maison, ma femme me dit : « Prépare-toi, c’est le professeur Geiss. » Je m’installe alors confortablement dans mon fauteuil. J’en ai pour au moins une heure…
L’expérience fut un grand succès. Les mesures étaient précises. Mais il fallait encore interpréter les résultats. Nous en avons longuement discuté à New York et, plus tard, à Berne, où Johannes Geiss m’invita pour de longs séjours de recherche et d’enseignement. Je dirai ultérieurement comment elles nous ont permis d’obtenir une estimation de la densité des atomes dans l’Univers, un sujet de grande importance en cosmologie.
À la demande de Geiss, la Nasa avait déposé sur la Lune une feuille d’aluminium à côté du drapeau américain. La surface de la Lune, comme celle des autres corps célestes de notre système planétaire, est exposée à ce qu’on appelle le « vent solaire ». Il s’agit de particules rapides provenant du Soleil, qui s’y propagent quelquefois en bourrasques. Grâce à l’atmosphère et au champ magnétique de la Terre, ces particules n’atteignent pas notre sol ; on peut cependant les observer indirectement sous la forme d’aurores boréales. Mais la Lune, dépourvue d’atmosphère et de champ magnétique, les reçoit de plein fouet. Cette feuille d’aluminium, toute simple, a absorbé, pendant sa longue exposition sur la surface lunaire, des particules apportées par le vent solaire. Elle en a révélé la nature lorsque, ramenée sur Terre, elle fut examinée en laboratoire. Nous avons ainsi pu avoir – chance inouïe – des fragments du Soleil sous la main ! C’est exactement ce qu’espérait Geiss.
Deux éléments chimiques firent l’objet d’une attention toute particulière dans l’analyse de cette feuille : l’hydrogène et l’hélium. Chacun d’eux se présente sous deux variétés différentes (on dit aussi « isotopes ») : l’hydrogène léger (H-1) et l’hydrogène lourd (H-2), ou deutérium, pour le premier, l’hélium léger (He-3) et l’hélium lourd (He-4) pour le second (voir fig. I).
Comme on le verra plus loin, les atomes d’hydrogène et d’hélium comptent parmi les plus anciens du cosmos et nous parlent donc des premières minutes de l’Univers.
Le trio lithium-béryllium-bore
Le second événement important de mon séjour à l’Institute for Space Studies eut lieu lors d’une conférence sur l’origine de trois autres éléments légers : le lithium, le béryllium et le bore (voir fig. I).
Le lithium est bien connu des psychiatres comme antidépresseur. Nous retrouvons le béryllium sous la forme d’une pierre semi-précieuse, le béryl, un beau cristal bleu azur dont on fait des colliers et des bracelets. L’acide borique a longtemps été utilisé comme désinfectant, mais son usage est maintenant abandonné.
Un article écrit par quatre astrophysiciens, William Fowler, Fred Hoyle, Geoffrey et Margaret Burbidge, rassemblait la somme des connaissances sur l’origine des éléments chimiques. Comme on l’a dit plus haut, les observations astronomiques avaient confirmé les idées de Fred Hoyle (chapitre 10) : la nucléosynthèse stellaire rendait compte de façon convenable de la plupart des populations d’atomes mesurées dans les étoiles.
Mais ce n’était pas le cas pour les éléments les plus légers, notamment, outre l’hydrogène et l’hélium, pour le trio lithium-béryllium-bore. La raison en est simple : ils sont très vulnérables à la chaleur. Les étoiles étant extrêmement chaudes, elles ne peuvent pas en être les génitrices. D’où proviennent-ils donc ? Au cours de cette conférence, plusieurs hypothèses nouvelles furent présentées. Pourtant, rien ne permettait de les confirmer ou de les infirmer. Impossible de sélectionner le bon scénario. Les discussions s’éternisaient sans toutefois
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