Je n'aurai pas le temps
cosmiques.
Dans les années qui suivirent, notre petit groupe eut l’occasion de développer plus à fond le scénario sur la nucléosynthèse interstellaire et d’en tirer bon nombre de conclusions intéressantes. Les résultats obtenus par les satellites vinrent confirmer la validité de la thèse selon laquelle les rayons cosmiques ont engendré les atomes du trio bore-béryllium-lithium. La conclusion était toujours la même : théorie et observations concordaient pour le béryllium, le bore et le lithium léger, mais le lithium lourd posait toujours problème.
Parallèlement à mes recherches à Saclay, je donnais une série de cours de cosmologie à l’observatoire de Meudon près de Paris. En 1982, deux astronomes, François et Monique Spite, apportèrent une nouvelle pièce au puzzle des atomes légers, pièce qui s’ajustait merveilleusement au tableau déjà ébauché. J’avoue que, sur le moment, je suis resté sceptique : cela me paraissait trop beau pour être vrai. Puis, je me rendis à l’évidence : un petit miracle venait de se produire. Mère Nature s’était montrée bienveillante envers les scientifiques en leur donnant un indice de toute première valeur.
Le couple Spite s’intéressait aux étoiles les plus vieilles, celles des premières générations qui sont nées au tout début de la Voie lactée. Comme la théorie de Fred Hoyle le prévoyait, elles possèdent très peu d’atomes lourds. Sauf, exception remarquable, les atomes de lithium-7. Comme si la galaxie les avait reçus à sa naissance.
Le message était donc clair : les cendres du Big Bang contenaient du lithium-7. Pendant la brève période où l’Univers avait été assez chaud pour être le siège de réactions nucléaires, quelques minutes environ avant que les feux cosmiques ne s’éteignent, la nucléosynthèse primordiale avait engendré non seulement des noyaux d’hydrogène lourd (2) et d’hélium (3 et 4), mais aussi du lithium (7) (voir fig. II). Justement celui que les résultats des expériences en laboratoire ne permettaient pas d’expliquer convenablement.
Plus tard, un autre élément vint confirmer cette thèse. Contrairement au lithium-7, les abondances des atomes de béryllium et de bore augmentent avec le temps, tout comme celles du carbone, de l’oxygène et du fer. Tout cela est bien en accord avec l’idée qu’ils ont été progressivement fabriqués par l’action des rayons cosmiques tout au long des milliards d’années de la vie de notre Voie lactée.
Jérusalem et Cambridge
Les rapports entre notre groupe d’Orsay et Caltech restèrent tendus pendant plusieurs années. Cela se manifestait de différentes manières : remarques sarcastiques de William Fowler et de ses collaborateurs lors des symposiums, absence de mention de notre travail dans les bibliographies des chercheurs californiens… Cette attitude prit cependant fin à Jérusalem, en 1969, lors d’un colloque international sur la nucléosynthèse.
Ouvrant une session sur l’origine des éléments légers, un astrophysicien de l’université de Ramat Aviv cite les travaux du laboratoire californien, sans un seul mot pour les nôtres. C’est alors que, dans la salle, William Fowler se lève et, brandissant notre manuscrit dans la direction du jeune chercheur, l’interpelle : « You should read this » (« Vous devriez lire ceci »). Son message est clair : il reconnaît la valeur de notre point de vue sur l’origine du trio lithium-béryllium-bore. À partir de ce jour-là, nos recherches furent toujours incluses dans la liste bibliographique des publications de son équipe.
L’année suivante, nous nous retrouvons tous à Cambridge en Angleterre où, chaque été, Fred Hoyle organise un workshop (atelier) en astrophysique. Au cours de la présentation de nos travaux, je suis dérangé par une vive altercation dans l’auditoire. Hoyle apostrophe Fowler sèchement : « Je vous ai dit depuis longtemps qu’il fallait chercher du côté des rayons cosmiques mais vous n’avez pas voulu m’écouter. J’aurais dû publier seul ce scénario qui nous passe maintenant sous le nez par votre faute ! » Nous décidons alors d’écrire un article en commun avec Hoyle et Fowler, dont la parution réconciliera tout le monde. Les tensions ont disparu et nous sommes devenus d’excellents amis…
1 .
Jean-Paul Meyer, Lydie Koch, Yves David, Maurice Meneguzzi et Thierry Montmerle, Jean Audouze, Michel
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