Je n'aurai pas le temps
considérables…
Aujourd’hui, Malicorne m’est devenu un refuge indispensable. J’aime faire de longues promenades solitaires parmi les champs et les arbres. Chaque période de l’année m’apporte des joies différentes. Inspiré par Vivaldi, j’ai rédigé quelques textes qui sont des odes aux saisons.
L’hiver
Dans la forêt hivernale, le vert mouillé, tellement intense, des tapis de mousses m’attire irrésistiblement. Dans la faible lumière des fins d’après-midi, on les croirait phosphorescents. Un genou à terre, ma main les caresse et j’en cueille une tige pour en examiner la délicate structure. Je sens l’humidité du sol qui transperce le tissu de mon pantalon. Verts aussi, mais plus pâles, plus jaunâtres, les lichens qui recouvrent les énormes souches coupées à quelques centimètres du sol, maintenant finement striées, fendillées et que les tiges des pervenches prennent d’assaut. Souches condamnées à être transitoirement d’ultimes vestiges des arbres majestueux qui se dressaient ici. En se désagrégeant, elles achèvent de restituer à la terre les substances organiques élaborées en des temps révolus. Un peu d’imagination suffit pour y retrouver, comme dans les tableaux de Max Ernst, lesruines en miniature de forteresses antiques depuis longtemps abandonnées, alors que les lourdes senteurs de la végétation, en décomposition dans les ornières inondées, envahissent l’air et enivrent l’odorat.
Le printemps
Le printemps en forêt est un festival de couleurs. Avant que les frondaisons n’assombrissent les sous-bois, les fleurs se dépêchent de surgir du sol, d’éclore et de répandre leur pollen pour l’année suivante. Les teintes changent de semaine en semaine. Tour à tour, les blanches anémones sylvie, les jaunes renoncules, les pervenches bleutées s’étalent autour des troncs dénudés. Quel coloris cette semaine ? C’est la question que je me pose en imaginant ma promenade du prochain week-end. Plus excitante encore est la découverte d’une fleur qui m’est inconnue et que je m’empresse d’identifier dans des livres de botanique. Plus tard dans la saison, quand l’opacité des feuillages s’installe lentement au-dessus du sol, les véroniques, les stellaires et les bugles rampantes se pressent autour des sentiers où quelques rayons de soleil parviennent encore. Dans les arbres, les voix de la forêt se diversifient et se multiplient. Au chant plaintif et susurrant du rouge-gorge qui ne nous a pas quittés de l’hiver, s’ajoute maintenant les vocalises du merle, les thèmes flûtés des loriots et les ritournelles des mésanges. Mais c’est le rossignol que, dans ce flot sonore, mon oreille recherche le plus attentivement. Dès que je crois distinguer sa mélopée dans le lointain, je dirige mes pas dans sa direction, à travers ronces et buissons. Je m’approche encore pour reconnaître la séquence si caractéristique des roulades et des claquements. C’est bien lui. Quel bonheur ! Je ne me lasse jamais de l’entendre et c’est avec regret que je quitte mon poste d’écoute lorsque le soir tombe. Lui peut chanter toute la nuit…
L’été
C’est vers la fin du jour qu’en été il convient de plonger dans la demi-obscurité des sous-bois. Les rayons obliques du soleil illuminent le tapis des pervenches. La lumière vert-doré tremble légèrement dans l’air tiède, s’étend très loin et se perd dans l’entrelacs des troncs et des branches cassées. J’y fixe longtemps mon regard, comme sur des reflets dorés qui dansent sur une mer tranquille. Les chants des oiseaux se font plus rares. Seuls encore ceux des fauvettes et des rouges-gorges, interrompus par les cris rauques du geai des chênes. Ils me font sursauter quand ils proviennent d’une branche voisine.
L’automne
Dans les terres gorgées d’eau fleurissent maintenant les colchiques roses. Roses aussi les délicats cyclamens, avec leurs feuilles moirées, qui, parmi les ronces, recouvrent les flancs des collines… Les bois sont presque silencieux. On entend, à de rares occasions, les croassements des corneilles et les sifflements répétés des buses, que l’on peut voir planant très haut dans le ciel. Pendant les grandes averses automnales, muni d’un parapluie, je vais marcher dans les feuilles mortes des charmes et des chênes. Je m’attarde longuement à suivre la chute lente et tournoyante de l’une d’elles ; c’est la fin de sa
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