Je n'aurai pas le temps
basés sur les mesures du vent solaire grâce à la feuille déposée sur la Lune, une incompatibilité flagrante est apparue entre les quantités relatives d’hydrogène lourd dans la nébuleuse originelle et dans notre planète. Notre eau s’avérait être dix fois plus lourde que prévu par les mesures lunaires de Geiss !
De l’utilité d’aller au cinéma
Dans le train qui me menait à Berne, où Johannes Geiss m’avait invité à faire une conférence, je me mis à réfléchir à la portée astrophysique de ces nouvelles informations protosolaires. Pourquoi ? Je me suis cassé la tête à chercher une explication : rien ne marchait !
Un film que j’avais vu de nombreuses années auparavant, La Bataille de l’eau lourde , me revint en mémoire. Pendant la guerre de 1939-1945, des laboratoires militaires allemands entreprirent – heureusement sans succès – la fabrication de bombes atomiques. Pour y arriver, il leur fallait obtenir une eau très enrichie en hydrogène lourd. La recette est simple, mais sa réalisation est lente. Il s’agitde mélanger, à très basse température, de l’eau ordinaire avec de l’hydrogène lourd. Plus il fait froid, plus l’eau devient lourde (elle contient de plus en plus d’hydrogène lourd).
Certains laboratoires norvégiens avaient réussi cette manipulation et possédaient déjà des stocks importants de cette substance convoitée. Un commando allemand avait eu pour mission de récupérer les réservoirs et de les rapporter dans les laboratoires militaires nazis. Ils devaient être transportés en bateau d’Oslo vers l’Allemagne. Le navire quitta le port sous haute protection. Mais des plongeurs norvégiens avaient placé sur sa coque des mines qui explosèrent à la sortie de la rade d’Oslo. Le bateau coula.
Il me vint alors à l’idée que l’eau terrestre avait peut-être déjà été enrichie en hydrogène lourd. Les températures très basses de l’espace interstellaire où résidait la nébuleuse protosolaire (environ moins 200 degrés Celsius) avaient en effet offert, à l’époque de la formation de notre planète, les conditions idéales à sa fabrication. Ces phénomènes que les Norvégiens avaient utilisés s’étaient peut-être produits spontanément à l’échelle du Système solaire. Lorsque j’arrivai à Berne, je fis part de mes raisonnements à Johannes Geiss. À ma grande surprise, il m’informa que son groupe et lui étaient arrivés à des conclusions analogues. (Ceci est assez fréquent en science ; les mêmes idées naissent à plusieurs endroits différents quasi simultanément. On dit alors qu’elles sont « dans l’air » !)
À partir de ces considérations, il était possible d’aller plus loin en utilisant nos connaissances sur l’évolution des étoiles. On pouvait ainsi évaluer l’abondance de l’hydrogène lourd avant la formation des premières étoiles. Il se trouve que cette estimation a une portée cosmologique considérable. Comme l’hélium, l’hydrogène lourd est un des atomes engendrés par le Big Bang, et sa seule existence est une des meilleures preuves en faveur de ce modèlecosmologique. Cadeau supplémentaire, dans le cadre de cette théorie, l’abondance relative de cet atome par rapport à l’hydrogène nous a alors permis d’évaluer la densité d’atomes dans le cosmos contemporain. Nous en fîmes une publication qui nous valut plus tard, en 2001, le prix Albert-Einstein de la Société Einstein de Berne. Et tout cela grâce à une simple feuille d’aluminium déposée sur la Lune.
Chapitre 25
Saclay, Jérusalem, Cambridge
E n France, le programme de physique spatiale a été, au départ, pris en charge et financé par le Commissariat à l’énergie atomique dans son centre de Saclay. Cette entreprise fut l’œuvre d’un audacieux scientifique, particulièrement doué tant sur le plan professionnel que sur celui des relations : Jacques Labeyrie. Leur offrant un projet beaucoup plus excitant, il réussit à convertir à l’astrophysique plusieurs ingénieurs qui travaillaient à la construction de moniteurs pour les réacteurs nucléaires. Il s’agissait en effet de préparer des instruments de mesure destinés à être envoyés dans l’espace.
Après le succès des premiers vols, il m’invita à venir dans son labo pour constituer un groupe de chercheurs 1 afin d’interpréter les informations collectées plus particulièrement dans le domaine des rayons
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