Je n'aurai pas le temps
d’elles-mêmes. Si elles sont fausses, qu’elles disparaissent. Je ne lèverai pas le petit doigt pour les défendre. »
C’est là l’équanimité que le chercheur doit tenter d’atteindre pour ne pas risquer de s’aigrir, de s’accrocher obstinément à ses travaux et les défendre au-delà du raisonnable. Cette attitude regrettable est hélas souvent présente dans notre milieu. Trop de carrières bien commencées se terminent par ce spectacle navrant, nocif pour l’image de la science.
Le monde des chercheurs
Vers la fin de ma thèse de doctorat, j’ai été invité à présenter les résultats de mon travail à un congrès de physiciens dans un grand hôtel de Washington. Dans les jardins, les cerisiers japonais étaient en fleur. C’était ma première participation à une manifestation de cette sorte. Le programme annonçait une liste impressionnante descientifiques dont les noms m’étaient familiers. J’allais d’une salle à l’autre, m’infiltrant dans des enceintes archi-pleines que les gens avaient envahies parfois même jusque sur la scène. J’observais, dans les corridors, les grands maîtres entourés d’une cohorte de disciples, de journalistes et de photographes.
Les congrès, symposiums et autres workshops (ateliers) ont ponctué le cours de ma carrière. J’ai toujours été attiré par l’ambiance de ces événements où les nouvelles découvertes sont présentées. Mais c’est d’un autre de leurs aspects que je veux parler maintenant. Non pas celui des résultats mais celui des chercheurs eux-mêmes, dont on retrouve rassemblées des générations successives venant de tous les coins de la planète. C’est une sorte de vitrine du monde de la recherche, révélatrice pour les participants de leur rapport à la science et à leurs confrères.
Cela commence dès le premier jour. Les nouveaux arrivants font la queue devant des tables où des secrétaires les enregistrent et leur attribuent badges et porte-documents, parfois en cuir, mais la plupart du temps en skaï – souvent malodorant – made in China . Mon entrée dans cette salle est toujours pour moi un moment plein d’appréhension. Qui vais-je y retrouver ? Quelles personnes rencontrées à un moment ou à un autre de ma carrière ? Quels souvenirs vont remonter en moi de ces strates de ma vie professionnelle, avec leurs affects souvent enfouis dans ma mémoire ?
Plongées rapides dans le passé : tiens, avec celui-là, j’ai longuement discuté. C’était il y a quarante ans, à Hawaï, lors d’un barbecue sur la plage au coucher du soleil. Je l’ai revu plus tard à la Nasa, à New York, où il était venu présenter un séminaire. Comme ses traits ont changé ! Peut-être a-t-il été très malade ?
Et cet autre… Je me rappelle sa timidité lors de ses premières apparitions dans le groupe des thésards. Quelquesannées plus tard, affichant un sourire triomphant, il présentait, devant une salle comble, les résultats mirifiques qui avaient fait de lui la vedette de l’année. Plus tard encore, devenu une autorité dans sa spécialité, je le revois déambulant d’une démarche assurée parmi ses fans et critiquant d’une façon quasi sarcastique une théorie controversée… et maintenant, le visage sculpté par les ans, face à la génération montante, il absorbe difficilement le choc de constater qu’il n’est plus trop « dans le coup ».
Cette jeune femme, sobrement habillée en tailleur beige, où l’ai-je vue, elle qui me semble si familière ? Mais oui ! C’était à cette école d’été, à Cargèse, où elle avait fait une magnifique présentation ! Le soir, nous la retrouvions à la plage où elle nous donnait des leçons de planche à voile. Elle dirige maintenant un projet d’astronomie spatiale.
Les symposiums livrent souvent de tristes images des dégâts de l’âge, celle de chercheurs qui s’accrochent à leur passé glorieux et tentent de maintenir leur statut antérieur en présentant des arguments de plus en plus fumeux. Plus leur renommée était grande, plus de telles attitudes sont affligeantes et tristement ridicules.
Cet homme au dos courbé défend depuis longtemps des hypothèses auxquelles personne n’accorde plus aucun crédit. Il continue pourtant de les présenter à chaque congrès. La conscience de ne plus être pris au sérieux a imprimé sur son visage un mélange d’opiniâtreté et de méfiance.
Plus loin dans la file, ce prix
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