Je n'aurai pas le temps
Nobel de chimie, autrefois si enthousiaste. Je l’ai revu récemment, aigri, répétant systématiquement : « Fifty years ago I was the first one to say what we have just heard » (« Il y a cinquante ans, j’ai été le premier à dire ce que vous venez d’entendre »). Ce brillant théoricien, maintenant frappé par la maladie d’Alzheimer, cherche désespérément les mots pour poser sa question devant ses collègues navrés.
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« L’Âme des poètes ». Paroles et musique de Charles Trenet, © éditions Raoul Breton.
Chapitre 28
Enseigner quelque chose à quelqu’un
O n ne dira jamais assez l’importance pour un chercheur de poursuivre également une carrière d’enseignant universitaire. Cela lui évite de s’enfermer dans les sujets généralement très pointus de sa recherche et lui permet de trouver de nouveaux thèmes.
Combien de fois des idées nouvelles ou des remises en cause de mes convictions me sont venues à l’esprit au moment même où je présentais une théorie ou une argumentation qui m’était pourtant depuis longtemps familière.
J’ai donné pendant de nombreuses années des cours de cosmologie à l’université Paris VII (observatoire de Meudon), ainsi qu’à celles de Montréal et de Laval (Québec), où je les dispense encore sous forme de séminaires. Mon objectif est d’y présenter les acquis les plus récents sur l’Univers et son histoire. Outre l’intérêt que je porte à ces questions, le fait de devoir en exposer une synthèse devant des étudiants exigeants est pour moi un puissant élément de mobilisation mentale.
Les notes que j’ai régulièrement rédigées pour ces classes m’ont servi en 1994 pour l’écriture de Dernières nouvelles du cosmos et en 1995 pour celle de La Première Seconde . En 2002, voulant remettre à jour les informations qui figuraient dans mes livres, j’ai pu mesurer la vitesse avec laquelle, grâce aux nouveaux instruments d’observation, la recherche évolue. Il m’a fallu réécrire des chapitres entiers…
À Cornell, même à un âge vénérable, nos professeurs continuaient d’enseigner non seulement aux étudiants des niveaux les plus avancés, mais également à ceux des premières années. Ils dispensaient ainsi leur savoir, mais aussi l’expérience professionnelle acquise tout au long de leur carrière. Cette communication entre générations, des seniors aguerris jusqu’aux novices, me paraît indispensable pour la fertilité d’une communauté scientifique.
Telle n’est malheureusement pas la situation en France. Les scientifiques du CNRS ne sont astreints à aucun enseignement, tandis que les lourdes charges de cours imposées aux universitaires leur laissent peu de disponibilité pour les activités de recherche. De surcroît, la retraite obligatoire à soixante-cinq ans évacue des laboratoires les personnes souvent les plus aptes à transmettre aux jeunes ce qu’on appelle le « sens physique » : une sorte d’intuition qui guide la réflexion dans des situations confuses. Je pense avec nostalgie à certains observatoires américains et hollandais où la présence de seniors joue un rôle majeur dans l’établissement d’une ambiance dynamique et fructueuse.
Les écoles d’été
Les écoles d’été (summer schools) sont l’occasion pour les étudiants de rencontrer les meilleurs chercheurs et de vivre une quinzaine de jours en contact avec eux. Et, ce qui ne gâte rien, elles se tiennent souvent dans des paysages de rêve : la Corse, le lac de Côme ou la Sicile…
Chaque session développe un thème spécifique de la recherche actuelle comme, par exemple, « l’origine du Système solaire » ou « les épisodes d’inflation aux premiers temps de l’Univers ». On y présente les observations les plus récentes, les interprétations théoriques généralement admises, les idées novatrices et les projets en cours. Des opinions différentes s’affrontent parfois. Les discussionssont souvent vives et se poursuivent sur la plage ou au café du village, où professeurs et élèves se retrouvent.
J’ai constaté à plusieurs reprises l’efficacité remarquable de ces stages intensifs. Pendant l’année, à l’université, l’organisation horaire des cours et la multiplicité des matières du cursus obligent l’étudiant à changer de sujet plusieurs fois par jour. L’éparpillement de l’activité mentale qui en résulte ne lui donne guère le loisir de
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