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Je n'aurai pas le temps

Je n'aurai pas le temps

Titel: Je n'aurai pas le temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Reeves
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obligé, sans doute présent dans la vie de tout directeur de thèse, mais dont on parle rarement. Pour exister par lui-même, l’adolescent doit manifester une volonté d’indépendance qui peut aller jusqu’au rejet de la tutelle paternelle. Par analogie avec la situation familiale, on pourrait parler de « meurtre symbolique du père de recherche ». Le directeur de thèse qui a guidé un jeune chercheur vers la réussite doit, plus tard, admettre que son élève, devenu expert dans leur domaine commun, puisse quelquefois le dépasser en compétence et en réputation, voire même contester ses travaux. J’ai ainsi en mémoire plusieurs hommes de science qui, faute d’avoir correctement géré ce passage de leur carrière, se sont mis à dos leurs meilleurs élèves et n’ont pas été en mesure d’assurer leur relève.
    J’ai eu plusieurs fois à réfléchir sur mon attitude personnelle. Il m’est arrivé lors de conférences d’« oublier » de citer le travail de l’un ou l’autre de mes anciens thésards et de me rendre compte après coup des raisons inconscientes de ma bévue. Il n’est pas toujours facile de contrôler ses émotions, mais on peut, ensuite, tenter d’analyser les motifs « inavouables » qui ont entraîné ces comportements regrettables. Ce passage délicat de la relation maître-élève me semble généralement plus difficile à aborder pour les personnes d’origine latine que chez les Anglo-Saxons.

    La « comitite »
    Lorsque je suis entré au CNRS, on m’a demandé de faire partie de son comité national. Il me paraissait normal de ne pas refuser les obligations que la vie communautaire impose et je donnai mon accord. Le rôle de ce comité est double. À la session d’automne, il analyse les rapports d’activité soumis par les candidats aux postes de recherche. À celle du printemps, il examine le montant des crédits alloués aux différents laboratoires. Chacune de ces sessions dure une semaine, à laquelle s’ajoute la semaine précédente consacrée à l’étude des documents qui détermineront ses choix.
    Plusieurs choses me gênaient pourtant. Le moindre désaccord, la moindre incertitude aboutissaient à la création d’un sous-comité pour régler le problème, auquel il faudrait consacrer du temps supplémentaire. Et de sous-comité en sous-comité – on appelle cela la « comitite » ! – je voyais se rétrécir dangereusement le temps qui me restait pour mes recherches et mon enseignement.
    En outre, on me fit vite comprendre qu’en disant ce que je pensais, c’est-à-dire en assignant au dossier d’un candidat les qualificatifs qu’il me paraissait mériter, je risquais, face à la surenchère des rapports de mes collègues, de l’enfoncer irrémédiablement. Il fallait adopter le niveaud’exagération tacitement admis par tous… Je n’aimais pas ce jeu et je le jouais mal. Et plus mal je jouais, moins je l’aimais. La tradition voulait qu’à la fin de leur mandat on sollicite les membres du comité pour un nouveau quinquennat. Je me préparais à me défendre fermement pour refuser mais on ne me le demanda pas… J’en fus fort soulagé.

    Du doute et des convictions
    La scène se passe à Dublin, en Irlande, où je participe à un séminaire de cosmologie. Je viens de présenter une conférence devant un auditoire de physiciens et la période des questions a montré que certains possédaient très bien le sujet. Après ma prestation, avec quelques-uns, je me rends dans un café, non loin de là. La discussion aborde la question religieuse. Un jeune homme, parmi les plus compétents en astrophysique, me demande ma position. Je lui dis qu’à mon avis la science ne peut ni infirmer ni confirmer l’existence de Dieu. Péremptoire, il me répond : « C’est faux. La science prouve l’existence de Dieu. » Je lui rétorque que c’est son opinion, mais pas nécessairement celle de tous. « Pas la mienne en tout cas », déclare un autre étudiant. S’ensuit un brouhaha que le premier jeune homme interrompt d’une voix forte :
    « Ce n’est pas matière d’opinion, c’est un fait : la science prouve parfaitement l’existence de Dieu.
    – Vous voyez bien que tout le monde ne pense pas comme vous, lui dis-je.
    – Mais je le répète, reprend-il en insistant sur ces mots, ce n’est pas là matière d’opinion. » Puis il se tait, me regarde longuement et quitte la salle en hochant la tête, visiblement

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