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Je Suis à L'Est !

Je Suis à L'Est !

Titel: Je Suis à L'Est ! Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Josef Schovanec
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perçus ; maintenant, vont-ils se défouler sur moi, monter un sale coup ? Qu’est-ce qu’ils veulent ? Quelle idée d’aller au resto ? Cela sert à quoi ? Quel est l’intérêt d’y aller, l’année est finie, et, chic, on peut rentrer chez soi et bouquiner tout l’été… Le jus d’orange, on peut le boire à la maison. Pour faire une confidence : cet été, un groupe d’étudiants m’a invité à déjeuner près de l’Institut des langues étrangères de Samarkand où je suivais des cours. Eh bien, j’ai eu à peu près la même attitude, à peine plus polie je le crains, qu’il y a toutes ces années près de Chez Basile. Les apprentissages ne sont pas aussi simples qu’attendu – même chez ceux qui les prêchent.
    Le propre de l’angoisse, quand on la vit, c’est qu’elle provoque un effet paralysant, on ne peut pas forcément réfléchir en toute lucidité. Les autistes, de grands anxieux, deviennent et passent, parfois, pour des acteurs irrationnels. Alors que je crois que leur angoisse a des raisons, un mécanisme causal clair.
    Pour le dire autrement. Si on m’avait dit : le dernier jour de classe, le cours se finit à 17 heures, à 17 h 10 il faut entrer dans le café Chez Basile et s’asseoir à la première table, dire au monsieur ou à la dame : je veux un jus d’orange. Sachant cela deux mois à l’avance, j’aurais discrètement repéré les lieux, j’aurais peut-être regardé sur Internet – même si, à l’époque, Internet n’était que balbutiant – ou me serais documenté autrement. Et j’aurais sans doute mieux su faire face. Y compris en racontant peut-être quelque vieille histoire survenue au Basile, que même les employés ignorent, et qui aurait pu faire illusion sur le fait que j’étais un connaisseur du lieu.

    Jeux sociaux
    Tandis que, au tout début de mon passage à Sciences Po, je ne voyais pas les interactions sociales de mes camarades (ne parle-t-on pas parfois de « cécité mentale ? »), petit à petit, je commençais à en percevoir certaines. Un peu comme lorsque, ignorant tout des champignons, on se retrouve en forêt avec un spécialiste ; tandis que l’on ne voit rien, peu à peu, grâce à ses explications, on se rend compte de combien de champignons on est entouré.
    D’ailleurs, la petite histoire de Basile a apporté certains éclairages sur ce point : j’ai bien ressenti la gêne et la volonté au moins d’un camarade de classe à changer la situation.
    Durant ma première année à Sciences Po, je me rendais également compte, épisodiquement, que les autres entretenaient des contacts « occultes » dont j’étais quelque peu exclu. Sur la quinzaine d’étudiants de ma classe, je compris que si je disais bonjour personne ne refusait de me dire bonjour ; mais je ne disais bonjour qu’à un ou deux, puis peut-être quatre ou cinq d’entre eux, m’attirant chaque fois ou presque leur réponse, dans un mécanisme assez amusant.
    J’avais réussi à raconter quelques premières blagues. Notamment, en fin d’année, je me souviens, j’avais réussi à faire rire. Dans la salle, les tables étaient regroupées en cercle : on pouvait faire le tour des tables et s’asseoir n’importe où. Il y avait trois étudiants au moment de mon arrivée un peu à l’avance en cours, et à l’entrée j’avais fait le long tour pour m’asseoir, alors que je pouvais prendre un chemin plus court. L’une des filles m’a interpellé pour me demander pourquoi je faisais tout ce chemin-là, et j’avais réussi à dire : « Tu ne sais pas que je me déplace toujours dans le sens trigonométrique ? » Cela les avait amusés. Et moi ça m’avait fait plaisir parce que j’avais réussi.
    Toutefois, je n’étais qu’à une fraction des aptitudes relationnelles attendues. C’est alors que je compris que tout ne se passait pas tout à fait comme prévu dans les textes officiels, et que, parfois, des petites entorses au règlement étaient le prix à payer pour les

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