Je Suis à L'Est !
contacts sociaux. Un soir, durant lâhiver 1999-2000, par une de ces nuits qui tombent tôt, jâétais sorti de Sciences Po une vingtaine de minutes plus tard que dâhabitude, le temps de régler quelques questions de livres. En allant à la station de métro, jâai vu deux de mes camarades de classe qui sâembrassaient. Cela mâa un peu choqué. Pas sur le plan éthique. Mais parce quâil ne mâétait jamais venu à lâesprit que mes camarades restaient à proximité de lâétablissement après la fin des cours : comme les profs nous disent toujours de travailler dur, je nâimaginais pas que les autres ne rentraient pas tout de suite travailler chez eux. Après, aussi, viennent toutes les questions : est-ce que je dois leur dire au revoir ou pas ? Ãtre impoli vaut-il mieux quâêtre trouble-fête ? Cela a lâair tout bête, mais câétait un peu la découverte du monde pour moi qui pensais que quand on était étudiant à Sciences Po ou dans un autre établissement, conformément aux consignes de la direction, pendant lâannée universitaire on était censés travailler. Et non par exemple aller au cinéma. Sinon il y a une contradiction entre le fait dâêtre étudiant et de passer une heure ou deux à ne pas être étudiant. Peut-être que des fondamentalistes ou des talibans auraient apprécié.
Au début, il nây a pas dâinterprétation qui vienne à lâesprit. Ce nâest quâen réfléchissant, plus tard, que lâon commence à comprendre certaines choses, et à se dire quâaprès tout certaines règles ne sont pas forcément à suivre, ou ne sont pas à prendre au pied de la lettre. Toute la question est bien sûr de savoir jusquâà quel point on juge normal quâil y ait des entorses aux règles. Entre la vision officielle, où les étudiants travaillent dur pour lâexcellence, et la vision cynique subversive, où Sciences Po est le maquillage respectable dâun lupanar où tout repose sur lâappétit financier et sexuel de maîtres prédateurs et sur le mensonge généralisé, toutes les opinions sont possibles. Toutes les attitudes également sont présentes, du moins tel est le sentiment que je retire de plusieurs témoignages entendus et racontés sous le sceau du secret. Cela montre également à quel point « normaliser » un autiste peut mener à des apories, puisque chacun des « modèles » est différent, et souvent, hélas, nâen est aucunement un sur le plan éthique.
Histoires cocasses et apprentissage
Sciences Po, comme tous les lieux orgueilleux, fournit sont lot dâhistoires cocasses. Elles ont contribué à ma formation, peut-être en mal, peut-être en bien ; elles mâont en tout cas rendu plus cynique que je ne lâétais avant. Dâailleurs cet apprentissage se poursuit même aujourdâhui ; il y a à peine quelques semaines, lors dâune rencontre suivie dâune discussion privée, jâai appris de la bouche de la personne en question, chercheuse reconnue à Sciences Po, auteure dâarticles publiés dans la presse la plus respectable qui soit, entre autres sur un certain pays, ne savait ni combien ce pays avait dâhabitants, ni quelles langues on y parlait, et bien sûr nây était jamais allée. Elle a une réputation dâexcellence, alors que moi, pauvre ignorant, je nâai jamais rien osé publier sur ce même pays où je suis allé plusieurs fois, dont jâai passé des années à apprendre lâune des langues et à en découvrir une deuxième puis une troisième. Le plus remarquable est sans doute que ces quelques points ne semblaient en aucune manière troubler la sereine assurance de mon interlocutrice ; elle mâavait au demeurant elle-même posé les questions susdites. Quant à moi, jâai joué le jeu, feignant de ne pas percevoir le comique de la situation.
Mais revenons en arrière et à mes premières découvertes. Ce camarade de classe dont la presse, y compris anglophone, parlait déjà à lâépoque, grâce au rôle de ses parents, aujourdâhui jeune homme politique en quête de pouvoir, et dont une partie difficilement
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