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Je Suis à L'Est !

Je Suis à L'Est !

Titel: Je Suis à L'Est ! Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Josef Schovanec
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toute éventualité à l’instar des voyageurs interplanétaires de Jules Verne.
    Puis vint l’ouverture des portes. J’ignore combien nous étions, peut-être cent cinquante, à avoir été convoqués ce matin-là. Premières minutes, première claque. J’ai observé une chose curieuse. Alors que personne ne se connaissait, chacun venant d’un bled différent, en quelques instants, cinq minutes à peine, des groupes s’étaient déjà formés. Des groupes de discussion, des groupes de cinq, dix personnes tout au plus. Et comme on peut le deviner, je fus probablement l’un des seuls à rester en dehors. Je n’étais pas spécialement surpris : c’était un peu ce que j’avais vécu durant toute ma scolarité. Une sorte de malédiction se reproduisait. Que je n’ai pu qu’accueillir avec fatalisme.
    Une séance solennelle suivit. Les deux directeurs, aux titres ronflants et vénérés de tous, ont dit quelques mots. De les savoir tous deux morts à l’heure où j’écris ces lignes – l’un de la mort « vieille France » la plus fastueuse qui soit, l’autre d’une mort de starlette dont la presse nationale a préféré taire les détails scabreux, mais tous deux bel et bien morts alors que leur puissance il y a peu encore paraissait infinie – donne à réfléchir. Mais cela, je ne le savais pas encore à l’époque.
    Notre premier cours, en petit comité, suivit. Dans un petit salon, avec des boiseries, une cheminée en marbre et la désagréable sensation d’avoir affaire à une imitation, à des fins de distinction sociale, de styles architecturaux plus anciens. Le prof a commencé par faire l’appel. Il faut savoir qu’à Sciences Po, j’ignore si c’est encore le cas, le dossier d’inscription demandait le nom du père, les décorations du père, le nom de la mère, les décorations de la mère. Tout est dit. L’appel était donc sur le mode : « Pierre S., que fait votre père ? — Général de l’armée de l’air. — Très bien, Monsieur S. » Ou encore : « Édouard Guigou… dites-moi, Guigou, cela m’évoque quelque chose… — Oui, oui, tout à fait… — Très bien, Monsieur Guigou », réplique le prof, prenant son crayon. Peu après, la machine se grippe : « Ske… Sko… Skounch… » – là j’ai compris que c’était moi. « Profession du père ? — Chômeur… » Rude entrée en matière.
    Les autres cours furent sur le même mode. Inadaptation sociale d’un côté, riches découvertes de l’autre. Dans tous les sens de l’expression. J’en ris maintenant, mais n’en avais pas le loisir, ou n’osais pas le prendre, sur le moment. Je m’étais aussi promis de faire des efforts. Sans succès. Autant, quand j’étais au lycée, je pouvais me dire que j’étais « exclu » du fait d’un lourd passé ; autant alors, quand le même scénario se répétait face à des gens totalement inconnus, cela avait l’effet d’un petit coup de marteau. Il faut cependant ajouter que j’étais dans un tel état d’esprit en allant à Sciences Po que la présence d’une guillotine dans la cour ne m’aurait qu’à peine surpris.
    Et pourtant. Les mauvaises surprises du quotidien m’attendaient là où je ne les anticipais pas. À commencer par la redoutable épreuve de savoir dire bonjour. À l’époque, cela était particulièrement délicat pour moi. Il ne faut pas sous-estimer ce point qui peut paraître évident. Si l’on prend l’exemple du bonjour dans d’autres cultures, par exemple dans la Chine traditionnelle, il y a l’obstacle évident de la connaissance ou non de la formule verbale et de la gestuelle associée. Mais également la confiance en soi en exécutant le rituel ; le fait de croire qu’on l’accomplit de manière incorrecte peut avoir de grandes conséquences, et ce pas seulement sur le plan psychologique. Sans même évoquer la question des variantes multiples du rituel : saluons-nous chacun de la

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