Je Suis à L'Est !
appréciable du succès était liée à son long cou et son aptitude à décoder, mieux que moi-même, les hiéroglyphes sur ma copie lors des examens. Ou encore cette camarade, fort gentille, lâune des rares à me saluer parfois dâelle-même, timide et ayant sans doute une très mauvaise image dâelle-même, qui, ayant été la seule de la classe à devoir passer au rattrapage en fin dâannée, avait demandé mes notes de cours pendant les vacances dâété, avant de me les renvoyer avec un adorable petit mot. Ce fut une surprise de la voir, quelques années plus tard, journaliste fort réputée, tant je ne pouvais mâattendre à ce quâelle exerce ce métier. Tout a, hélas, entre-temps évolué : son apparence nâa plus rien à voir â épaisse couche de maquillage et bijoux â, le débit ainsi que le ton de sa voix ont changé du tout au tout. Et, signe qui peut-être en dit long sur les mutations intérieures, quand je lui ai écrit deux petits mots dâancien camarade de classe, le silence fut ma seule réponse. En somme, je ne peux pas totalement regretter dâavoir été à Sciences Po : jâaurais manqué, sans cela, un certain nombre de petites histoires révélatrices que lâon nâapprend pas ailleurs.
Je crois quâen matière dâhistoires cocasses jâai probablement surpassé la plupart de mes camarades de classe. Je mâen tiendrai à une seule, en osant avancer un nom, ne serait-ce que du fait de ma sensation de lui devoir des excuses. Ãtait impliqué un de mes anciens profs de première année, Bernard Gaudillère, par ailleurs ancien membre du gouvernement Mauroy, un de ces hommes politiques à lâancienne, au premier rang des décisions, mais que lâon ne voit jamais dans les médias, par choix personnel. à lâissue de la première année, on nous avait distribué des fiches dâévaluation : on était censés, pour chacun des enseignants, écrire un petit texte contenant notre appréciation. Il y avait inscrit en haut : remplissez ce formulaire en toute honnêteté, ou quelque chose comme cela. Ce que je fis. Pire, je signai ma lettre, chose quâil ne fallait pas faire. Jâénonçai mon jugement avec encore moins de précautions quâaujourdâhui. Et surtout, je ne savais pas du tout que je pouvais blesser. à lâépoque, je nây avais guère accordé dâimportance, et dâailleurs je ne me souviens absolument pas du contenu de la lettre. Je ne croyais jamais revoir mon ancien prof, prédiction qui sâest dâailleurs réalisée.
Mais jâeus indirectement de ses nouvelles. Bien des années plus tard, mon patron à la mairie de Paris, Hamou Bouakkaz, a évoqué mon nom devant celui qui était devenu entre-temps directeur de cabinet du maire, numéro deux de tout lâédifice. M. Gaudillère sâest alors levé, a ouvert le tiroir de son bureau et en a extrait la lettre. Une lettre tellement traumatisante quâil lâavait gardée pendant dix ans, transportée même lors de ses changements de bureau. Il aurait pu me licencier. Dire quâil ne voulait pas de moi à la mairie. Il a assurément une grandeur dââme, puisquâil ne lâa pas fait.
Devenir allemand ?
Sciences Po a un avantage : son extériorité, comme diraient les grincheux. Ou plutôt lâannée à lâétranger quâil inclut dans son cursus. Pour moi, ce fut une année en Allemagne. Beaucoup de petits drames familiaux et intérieurs avant le départ, mais comment résister à lâamour de lâAllemagne que, jeune germanophile à lâexcès, jâéprouvais alors ? En plus, jâavais obtenu deux financements de la part de lâétablissement. Je me retrouvais donc, à peine majeur, à quelques kilomètres au sud de Francfort.
Changement de cadre. Jâai passé une très belle année, dure à certains égards, mais jâen garde un souvenir ému. Jâavais la liberté de choisir mes cours, je picorais un peu dans toutes les matières disponibles à la fac. Câest là aussi que jâai commencé à réfléchir au dogme de lâexcellence. Notamment en me rendant compte
Weitere Kostenlose Bücher