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Je Suis à L'Est !

Je Suis à L'Est !

Titel: Je Suis à L'Est ! Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Josef Schovanec
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que les cours d’économie que je fréquentais, avec des formules mathématiques très compliquées, des profs particulièrement spécialisés, étaient vraiment de l’économie poussée à très haut niveau. Tandis que, à Sciences Po, ce qui se faisait ne paraissait être que du baratin. Le décalage était tellement bluffant que j’ai dû me rendre à l’évidence, malgré mes réticences et mon obéissance à ce que l’on m’avait dit : en fait, à Sciences Po, en économie comme peut-être dans d’autres matières, ce pourrait bien être des charlots.
    Il y eut d’autres prises de conscience. J’assistais en Allemagne à des cours moins conventionnels, à l’image de ce cours de sciences politiques avec un prof très provocateur, spécialiste réputé des paradoxes électoraux. En d’autres termes, des situations où le résultat électoral était l’inverse de la volonté des électeurs. Ses cours étaient fort argumentés, mathématisés : il prenait en exemple un corps électoral simulé – supposons que tous les habitants de la commune veuillent installer une piscine, et que personne ne veuille installer un terrain de tennis –, avant de montrer, point par point, comment, en adaptant le mode de scrutin, on pouvait leur faire adopter le terrain de tennis à une majorité écrasante. Chaque fois, le cours bihebdomadaire de quarante-cinq minutes se terminait, précisément à la minute de la sonnerie, par l’addition finale et son grand sourire. Un peu perplexe, j’avais envoyé par email deux exemples numériques, sans aucun commentaire politique, au seul ancien camarade de classe de première année avec qui j’étais encore en contact. Sa réponse ne comportait qu’un mot : « Fasciste ! » Il est des choses qu’on ne peut dire à Sciences Po. Et un style rhétorique à adopter, par exemple sur les instances élues représentantes de la nation pour le bien commun, avec si possible beaucoup de majuscules.
    Cette année en Allemagne a aussi été celle des prises de conscience plus rudes dues à mes défaillances, mes inaptitudes sociales. Par exemple prendre le train pour venir de Paris ou y retourner pouvait se révéler une expérience délicate. Je n’avais aucune des aptitudes requises pour savoir comment s’asseoir à la place réservée si quelqu’un y est déjà assis. Et comment acheter des cartes de réduction. Rentrant à peu près une fois par mois, il me fallait une carte de réduction en France et une en Allemagne, parce que les chemins de fer des deux pays n’étaient pas bien coordonnés à l’époque. Il fallait mener des négociations qui se révélaient difficiles pour moi ; à mon grand étonnement, je ne parvenais jamais au même prix du billet, parce qu’il dépendait de la manière dont je menais la négociation. Quand on savait très bien négocier, on pouvait aboutir à des prix bas. Et là aussi j’ai vu que les textes de droit, finalement, pouvaient être interprétés de diverses façons. Que l’employé du guichet n’était pas l’être parfait qu’on pouvait croire, et que, en fin de compte, il ne savait pas trop lui-même.
    Au cours de mon séjour en Allemagne, j’ai eu l’idée de devenir allemand. J’imaginais devenir un personnage connaissant parfaitement les codes sociaux du pays. Assez vite je me suis rendu compte qu’être allemand ne consistait pas à avoir lu Goethe ou Schiller, et à pouvoir réciter je ne sais quel poème. C’est beaucoup plus arbitraire que ce qu’on peut croire.
    Ã€ ce titre, une petite histoire d’apprentissage. J’étais logé dans une résidence universitaire : chacun une chambre, et une cuisine à partager entre quatre chambres. Dans deux autres chambres il y avait deux autochtones. À l’époque, j’apprenais un peu de calligraphie médiévale, l’un des seuls moments de ma vie où j’essayais de produire des choses artistiques de mes mains. Donc j’avais écrit dans la plus pure calligraphie vieille-allemande : « Que vive la patrie allemande. » J’avais collé le manifeste

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