Je Suis à L'Est !
même manière ? Si un ami marche vers vous, à quelle distance faut-il commencer la cérémonie ? Si vous le revoyez le soir même, faut-il recommencer ? Et à quoi tout cela sert-il, fondamentalement ? Autant de questions délicates auxquelles je nâavais guère de réponses et qui mâintimidaient.
Une deuxième mauvaise surprise mâattendait. Je sentais que les autres, physiquement, visuellement, culturellement, de la tenue vestimentaire à la coiffure en passant par le sac à main (au demeurant, pourquoi ce que je porte à la main, moi, nâest pas reconnu comme un sac à main ? En écrivant ces mots, jâai vérifié sur Wikipedia, toujours incrédule à plus de trente ans de vie face à ce code linguistique), nâappartenaient pas au même monde que moi. Toutes ces choses ne relèvent pas nécessairement de lâautisme en tant que tel, mais la très faible estime de soi de nombre de personnes autistes leur donne un cachet particulier. Jâavais ce fameux sentiment marqué dâêtre profondément inférieur, dâêtre moins que nul. Certains adultes avec autisme vous répondent à toute question : « Ne me posez pas de questions, je suis débile, je ne peux pas répondre à vos questions »⦠Sachant que celui qui mâavait dit ces mots était champion régional dâéchecs.
Lâexcellence et le trouble
On dira, avec raison, quâagir pour améliorer la confiance en soi des personnes autistes est une nécessité. Certes. Dans mon cas, et pas que dans le mien, la question était néanmoins plus complexe. Jâavais gardé cet étrange mélange psychologique entre la mauvaise estime de soi, le syndrome dâancien premier de la classe et lâétat dâesprit du cancre. Dans cette optique, pour ne prendre quâun exemple, avoir une très bonne note, nettement meilleure que celle venant juste après, est une véritable claque. Montre que je suis bizarre. Que quelque chose cloche. En fin de lycée, quand je voyais que tel camarade de classe, qui avait travaillé sérieusement ses cours de maths, la veille jusquâà minuit ou 1 heure du matin, obtenait 13 ou 14 lors du contrôle, ce qui passe pour une bonne note en terminale, tandis que moi, qui nâavais strictement rien révisé ni préparé, qui avais bâclé le contrôle en quelques minutes, je recevais 19 ou plus, que pouvais-je penser ? Quâil y avait complot pour ou contre moi ? Que câétait une farce bêtement prolongée ? Un hasard ? Hypothèse qui sâeffrite quand on lâinvoque trop. Ne reste que le sentiment de bizarrerie. Dâautant plus que trouver des réponses ou des conseils de comportement dans ces cas-là relève de lâimpossible. Faut-il « compenser » par les notes, câest-à -dire faire des erreurs exprès ? Faut-il faire semblant de réviser pour justifier ses notes ? Faut-il faire semblant, pendant le contrôle, dâavoir mille difficultés, et rendre la copie à la dernière seconde, en soupirant ? Jâai essayé les trois stratégies. Aujourdâhui encore, à la fin des partiels à lâuniversité, je dis parfois « lâannée prochaine je tâcherai de faire mieux », comme pour faire passer un message dâéchec rassurant. à dâautres moments, je soupire très fort quand on me donne la feuille avec lâénoncé, pour faire savoir à quel point tout est difficile pour moi. Ce qui amuse mes camarades de classe qui me connaissent, et donc mâincite à recommencer mon petit numéro pour leur faire plaisir. Naturellement, il y a une quinzaine dâannées, ces petites astuces mâétaient inconnues. Hors université, quand on me pose des questions et que je sais la réponse, même maintenant, je suis souvent fort gêné : est-il correct de donner la réponse ? Est-il normal que les autres ne la sachent pas et moi oui ? Un ami avec autisme a dit devant moi à une psychologue, sans nécessairement percevoir dâailleurs les conséquences sociales de son propos : « Je croyais que ceux qui faisaient des études étaient cultivés partout. » La psychologue, assurément compétente dans son domaine, ignorait en
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