Je Suis à L'Est !
effet les marques des moteurs dâavion et même la capitale du Belize. Le savoir et le savoir social sont deux éléments éminemment disjoints.
Eu égard à ces circonvolutions, les premiers mois de Sciences Po, ironie du sort, ont représenté un certain soulagement : les matières, aux antipodes de celles du lycée et de mes intérêts, mâétaient pour la plupart inconnues, et une fois de plus jâétais probablement le plus jeune de la classe, nâayant pas fait de prépa. Dâautres sources de perplexité, jâallais dire dâéquations sociales à résoudre, allaient néanmoins prendre le relais.
Socialisation : comment échapper à Basile ?
Il est temps dâaborder les moments les moins plaisants. Les étudiants avaient lâhabitude de se rencontrer après les cours â les mauvaises langues disent pendant â dans lâun des deux ou trois petits restaurants ou cafés, ne me demandez pas la différence entre ces deux types dâétablissement, qui entourent la rue Saint-Guillaume où sont sis les bâtiments les plus importants de Sciences Po Paris. à lâépoque, et cela nâa pas tellement changé, je nâallais jamais seul au restaurant, et ignorais même que lâon pouvait entrer dans un restaurant sans autorisation expresse.
Je garderai longtemps en mémoire la funeste scène : alors que la première année sâachevait, après le dernier cours mes camarades de classe décidèrent dâaller dans le petit bar (ou café ?) du coin : le mythique « Chez Basile ». à Sciences Po, tout le monde bien entendu le connaît, le fréquente, à tel point quâil nâest pas même nécessaire de le nommer, chacun comprenant dâun geste où est la prochaine destination. Pas moi. Je passais devant « Chez Basile » plusieurs fois par jour, sans lever la tête. Je connaissais Saint-Basile-le-Bienheureux à Moscou, mais non Chez Basile. Une bonne décennie plus tard, songeant aux pages de ce livre, je me suis enfin rendu compte que jâignorais lâessentiel.
Revenons à la petite histoire. Lâun de mes camarades de classe mâinvitait avec insistance, répétant : « Mais viens ! Viens, Josefâ¦Â » Terrorisé, je ne savais que répondre à une invite qui portait sur un élément inimaginable pour moi. Il avait eu sa propre lecture des choses et mâa proposé de me payer la consommation. Perdu, je mâétais enfui.
Peut-être que dans les nombreuses situations de ce type, chercher à qui jeter la pierre nâest pas une démarche optimale. Il est trop simple de conclure à , au choix, la méconnaissance de lâautisme par mes camarades ou, même, dans les moments de paranoïa, à leur mauvaise nature intrinsèque. Symétriquement, affirmer que le résultat était issu de mon choix nâest pas tout à fait exact. Le problème est partagé. Sa principale lueur dâespoir tient à ce que, correctement appréhendé, il peut déboucher non sur un constat dâéchec, mais sur des pistes pour mieux faire face aux situations analogues à venir.
Il serait trop facile et inexact de conclure à un diagnostic de troubles psychiques à guérir. Prenons un exemple : si quelquâun vous propose de visiter une base secrète des Martiens à côté de chez vous, accepteriez-vous dây aller sur-le-champ ? Probablement que, ignorant comment vous conduire face aux habitants de la base en question, vous auriez un comportement analogue au mien. Pourquoi ce qui est causé par les Martiens est normal, alors que ce quâentraîne Basile est pathologique ? Les Martiens sont peut-être des personnes fort agréables. Question dâhabitude, de fréquentations et de normes sociales. Lâanalogie nâest pas tirée par les cheveux : après tout, jâavais mangé au restaurant avec mes camarades à peu près aussi souvent que vous lâavez fait avec des Martiens. De ces mauvais jugements, jâen avais moi aussi, naturellement : ils sont lâune des choses les mieux partagées. Pourquoi mâinviter soudain, quand ils nâavaient pas montré beaucoup de signes de gentillesse pendant lâannée, du moins ceux que jâavais
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