Je Suis à L'Est !
diverses anecdotes savoureuses et observations, soit personnelles, soit rapportées par des amies psychologues, nâont fait que renforcer mon pressentiment, le faisant accéder à son stade ultime, celui du rire. Freud disait, sauf erreur de ma part, que le bon paranoïaque devenait philosophe (serais-je visé ? En tant que parano je ne peux le nier) ; peut-être que lâon pourrait ajouter que le vrai aliéné devient humoriste â ou politicien, alternative plus fâcheuse. Quoi quâil en soit, malheureusement, le duopole traditionnel de la psychiatrie aliéniste-aliéné allait se renforcer durant mes années psy dâun troisième élément, celui que jâoserais nommer lâaliénant.
Revenons pourtant à ce lieu médical de 2001. à vrai dire, jâai plutôt tiré la porte que poussé : le local était tout petit. Une salle dâattente où une chaise pouvait à peine entrer, et un lieu de consultation à peine suffisant pour trois chaises, un bureau et lâinévitable divan. Je nâavais pas dit, alors, à mon très honorable hôte que le charme de ses appartements était lâune des raisons majeures de ma fidélité à son cabinet.
Le premier rendez-vous fut plein de surprises. Jâignorais tout de ce qui mâattendait. Ce nâétait même pas moi qui avais obtenu le rendez-vous â si ce rôle mâavait été dévolu, vu ma phobie du téléphone à lâépoque, je ne lâaurais jamais fait, ce qui aurait pu avoir des conséquences positives entre autres sur le plan financier, tout en me faisant manquer quelque chose de majeur : être psychopathe et ne pas le savoir, câest un peu comme être millionnaire et ne pas le savoir, bien dommage.
Pourquoi y étais-je allé ? Question en apparence complexe, mais la réponse en était sans doute dâune simplicité désarmante. Je me rendais bien compte que, contrairement à mes camarades de classe de Sciences Po, jâétais incapable dâassumer un « rôle dirigeant » comme on disait (soit dit en passant, câétait exactement la formule des constitutions socialistes pour décrire le rôle du Parti). Jâétais gêné de déranger pour si peu dâaussi importants personnages et étais convaincu quâils allaient me renvoyer à mes salades. Je nâespérais, en fait, quâune sorte de coaching. Le plus pervers dans lâhistoire est que, sans doute, si jâavais été dans une classe de matheux ou dâinformaticiens, où les apparences et jeux sociaux pèsent moins lourd, je nâaurais pas ressenti aussi fortement ce décalage, et ne serais pas devenu officiellement aliéné. Une sorte de syndrome Rosemary Kennedy 1 , où câest la présence dâun individu dans un milieu donné qui crée le syndrome pathologique, et sur lequel je reviendrai plus loin. Et puis il faut ajouter que jâétais curieux, et rencontrer un psychanalyste était un des ressorts de ma démarche sur le plan intellectuel, une rencontre qui devait sans nul doute se révéler passionnante.
à ma grande surprise, à la fin de mon rendez-vous dâinitiation, mon aliéniste mâavait demandé de revenir. Lâautre surprise avait été lâannonce de son tarif pour la séance dâune vingtaine de minutes : tarif étudiant, mâavait-il dit, 500 francs. Cela mâavait naturellement perturbé, puisque, en une séance, je dépensais peut-être le dixième du revenu mensuel total de ma famille, tout en me rassurant sur un point : mon aliéniste était quelquâun de remarquable â plus tard, jâallais découvrir la liste de ses titres et marques de prestige au sein de la communauté psychanalytique de Paris.
Au cours des deux premières séances, il nây eut aucun impact apparent. Dâinnocentes causeries. Je cherchais, avec plus de foi que de résultats, le sens profond, métaphysique, qui était certainement caché dans les cinq ou dix mots et autant de grognements que lâaliéniste prononçait en une séance. Peu de temps après, il me suggéra, de façon particulièrement aimable, dâaller également chez un de ses collègues, et quâils travailleraient en binôme
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