Je Suis à L'Est !
â ce sur quoi il avait menti parce quâen fait il nâallait y avoir aucune coordination entre eux.
Le fameux collègue était, quant à lui, « le bourreau ». Celui qui allait faire le sale boulot. Changement de style : le deuxième cabinet était grand, au cÅur de Paris. Le maître des lieux y trônait, jeune et pourtant chauve, entre des piles de bouquins, dont il a toujours obstinément refusé de me donner un commentaire, de mâen proposer un à lire ou de mâen indiquer son préféré. Dâordinaire, les gens qui ont beaucoup de livres aiment bien lire, et rebondissent volontiers quand on leur pose une ou deux questions, sâensuit une discussion et un bon moment. Mon psychiatre était, lui, du genre crispé. Dès ma première séance, jâeus droit à une ordonnance. La première mais pas la dernière. Câétait également la première fois que je devais aller dans une pharmacie tout seul. Face à ma panique, mon maître mâavait menacé, et ordonné dây aller, usant de toute la violence de son verbe et de tournures rhétoriques éprouvées par des années de pratique. Le nom du médicament, Solian 2 , ne mâévoquait rien. Il me fut prescrit sans la moindre explication, ni ce à quoi il était destiné, ni ce quâil en attendait, ni, surtout, mais là je ne tarderai pas à les découvrir, quels en étaient les effets secondaires. Effets secondaires ou effets primaires, je ne sais, tant avec ce type de produit le flou règne dans tous les sens du terme.
Avec les molécules, je découvrais un autre aspect de ma thérapie : le rapport dâautorité entre le médecin et son patient. Ãvoquer un dialogue avec son aliéniste est un terme impropre, tant la parole de ce dernier est dâorigine divine, tombe sur lâignare et le fait marcher. Au demeurant, le dialogue ne peut avoir lieu pour une raison plus simple : avec lâaugmentation des doses, le patient devient rapidement aphasique. Aggravation de son état pathologique, qui exige une hausse et une multiplication des médicaments.
Aucun mot, aucun diagnostic nâa été posé ni par lâun ni par lâautre sur les symptômes dont je souffrais. Je pense que câétait une stratégie, jâallais dire vicieuse, voire perverse : lui-même ne fait pas le mal, mais il appelle son collègue pour cela.
Les premiers jours, je commençais, comme prescrit, par de petites doses. Au fur et à mesure des rendez-vous, lâordonnance des médicaments sâest allongée jusquâà ce véritable choc lorsque la pharmacienne, en me tendant le sachet de médicaments pour trois semaines, mâa annoncé un jour : « Voilà , monsieur, 2 400 francs. » Je compris alors que jâétais encore plus aliéné que prévu. Je disposais de fort peu de réponses. Aucun mot, aucun diagnostic nâa été posé à cette époque sur la pathologie dont je souffrais. Celui qui prescrivait des médicaments ne donnait aucune explication, tandis que lâautre (le psychanalyste) ne disait rien du tout ou presque durant les séances. Cet homme était dâailleurs fort mystérieux. Quand jâappris quâil était non seulement psychanalyste, mais également psychiatre, je me suis demandé pourquoi il ne me prescrivait pas de médicaments lui-même. Question à laquelle je nâai pas de réponse à ce jour, si ce nâest un éventuel jeu de carotte et bâton entre les deux. Une autre énigme, toujours sans réponse, tient au fait que, durant toute ma thérapie, câest-à -dire de longues années, jamais il ne me demanda de mâallonger sur le divan, alors même que je savais que dâautres de ses patients lâutilisaient (il le remettait en ordre au début de mes séances). Aucun des honorables praticiens que jâai consultés après lui ne me demanda non plus dâadopter cette position horizontale pourtant bien connue des adeptes du genre, et personne ni au sein de la profession ni en dehors ne me donna jamais dâexplications compréhensibles à ce traitement de faveur ou non⦠Jâen suis à nouveau réduit à mes jeux de mots : divan vient du terme arabe diwan , chambre principale et par extension le
Weitere Kostenlose Bücher