Je Suis à L'Est !
lâampleur, notamment la schizophrénie. Donc jâétais persuadé que jâen étais au tout début. Une autre catégorie médicale justifiait tout : il y a des formes de schizophrénie sans signes apparents, du moins selon des manuels un peu anciens. Avec des termes plus récents, je crois que la schizophrénie déficitaire ou négative peut ne présenter aucuns signes positifs observables. En dâautres termes, on peut être fou à lier sans avoir dâhallucinations, dâillusions ou de fausses croyances. En étant parfaitement sain dâesprit en apparence. Le président Schreber 3 nâétait-il pas, même dans ses pires moments, de fort agréable compagnie ? Je choisis sciemment le terme « président », un peu par dérision car, ce qui est remarquable, et qui a dâailleurs fait la fortune historique de son écrit, est le mélange indétricotable entre la haute respectabilité sociale de ce grand magistrat de lâEmpire allemand et sa folie la plus extrême. Une folie où on ne sait à vrai dire ce quâil faut traiter ou pas, tant lâensemble paraît délirant. Tout en étant remarquablement écrit, et fort argumenté, le patient ayant toujours été dâune exquise délicatesse et dignité. Je crois quâun rédacteur actuel, reprenant le texte initial, moyennant quelques changements, aurait facilement pu en faire un texte paraissant sain, câest-à -dire non aliéné. La folie ou son absence tient je crois avant tout à lâusage ou non de certaines phrases et tournures, indépendamment du contenu. Les plus désarmants et émerveillants sont les récits sur son parcours médical, les personnages qui y apparaissent étant encore plus involontairement comiques que le président lui-même. Autre curiosité, pour laquelle je nâai toujours pas eu de réponse claire : pourquoi la folie du président, tout comme celle dâautres personnages connus, à commencer par Nietzsche, ne correspondait-elle pas aux canons médicaux ? Médicalement, dâaprès la science actuelle, une folie telle que celle du président est, je crois, impossible.
Mes lectures confirmaient que jâétais beaucoup plus concerné par la folie que je ne le croyais, ou que mon entourage ne le pensait. Revint alors la fameuse question que je me pose régulièrement : dans le monde, est-ce que ce sont eux qui sont fous, ou est-ce que câest moi ? Jâavais ma réponse.
Quant à la « descente aux enfers », elle nâétait pas une surprise. Le fait que le psychiatre que je consultais augmente les doses confirmait le fait que la schizophrénie était, comme il se doit, en plein essor, et que la folie qui avait, par miracle, su rester plus ou moins sans signe apparent, allait sous peu devenir pleinement apparente. Dâailleurs, mon « psychiatre-bourreau » lâavait dit clairement dans lâun des premiers rendez-vous : câest soit ce comprimé, soit la garde à vue dâici quelques jours.
En outre, jâavais lu â et un psychiatre me lâavait confirmé â que lâun des signes de la maladie mentale (et de la schizophrénie en particulier) tient en ce que le patient croit ne pas être concerné. Si vous additionnez tout cela, vous ne pouvez quâêtre dans un état dâesprit fort particulier. De surcroît, là est la cerise sur le gâteau, jâen avais parlé autour de moi, jâavais dit : Préparez-vous ! Ma folie va sortir au grand jour ! Quand le corps médical vous assure que très bientôt vous aurez des hallucinations, vous vivez dans un monde de surveillance et vous guettez leur apparition. Par exemple, quand dans la rue ou à la maison vous entendez un bruit, la première pensée qui vous vient à lâesprit est : est-ce que cela ne serait pas une première hallucination ? Ensuite, vous allez vérifier, et la paranoïa sâinstalle.
Il y a eu un moment, vers le mois dâoctobre ou novembre 2001, où jâai véritablement basculé mentalement ; je suis passé dans un autre monde. Dans un monde qui était un peu une sorte de reconstruction intellectuelle dâun asile des années 1920, 1930, 1940. Au tout début, ce nâétait
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