Je Suis à L'Est !
dans la cuisine commune. Cela mâa valu une réaction désastreuse de lâun des colocataires parce que, dâune part, il lui a paru grotesque que moi, le petit Français, jâécrive pareilles choses, et dâautre part, ce dont je ne mâétais pas rendu compte, câest que jâavais collé cela au-dessus de la poubelle. Il avait arraché la petite calligraphie, et collé sur la porte de ma chambre une feuille déchirée, avec des lettres griffonnées au stylo : « Vive la France. » Jâai compris que jâavais fait une gaffe.
Les dernières années
La fin de mes études à Sciences Po ne mérite pas de longs commentaires. Elles furent difficiles pour une autre raison, à savoir que je commençais à être sous neuroleptiques. La dernière année, notamment, je suis peu allé en cours. Jâavais une excuse : jâavais réussi à mâarranger pour dire que je faisais un mémoire de DEA, ce qui était vrai. 95 % des étudiants, voire plus, nâen faisaient pas et ignoraient cette possibilité de dérogation aux cours de dernière année. Autant dire que le mémoire de DEA avait en partie réussi à dissimuler le fait quâavec certains comprimés je dormais quasi en permanence, ne pouvais parler et avais maints autres symptômes encore.
Les dernières semaines à Sciences Po ont été complètement à côté de la plaque. Je me suis alors convaincu que jâavais une maladie mentale assez prononcée.
à la toute fin, je nâai bien sûr participé à aucune des cérémonies. Ni photo ni pot ni autre singerie des jeunes loups aux dents longues. Dâailleurs, je crois que personne, à part quelques étudiants en DEA qui à lâépoque nâétaient pas dans le cursus « normal » de Sciences Po, ne savait quâil y avait un étudiant à mon nom.
Aujourdâhui, dans mon for intérieur, je ne me considère pas comme diplômé de Sciences Po. Il faut lâafficher parfois sur les labels. Mais que faire ? Moi, câest Josef. Le fait que je sois ou non diplômé de Sciences Po ou dâun autre établissement, câest comme avoir ou non un mouchoir dans la poche. Il se trouve quâil est là , mais on ne se définit pas par rapport à lui. On ne voit pas de lâextérieur quâil est là . Il peut tout au plus servir, en cas dâurgence sociale, à évacuer le fiel.
Quand la foire des doctes continue
Une des choses amusantes en Allemagne, qui ne semble pas pratiquée en France, ce sont les titres des universitaires. Dans la brochure quâimpriment les universités en début dâannée et qui recense leurs cours, chaque personnage montre ses titres : Dr, PhD, Prof, avec quelques sigles plus cryptiques. Certains sont tellement décorés que la ligne peine à tenir leurs particules : Sen em. Prof Prof h.c. Dr Dr h.c. Prénom Nom PhD JuDr ThDr et autres. Dans La Nef des fous 1 , les doctes occupent une éminente place dans la compagnie. Je ne pensais pas alors finir par en faire dâune certaine manière partie.
à lâissue de Sciences Po, avec le sentiment dâêtre incapable de travailler, déjà sonné par les cachetons mais pas encore tout à fait, je décidai de mâinscrire en thèse. Après plusieurs épisodes et échecs dus à mes inaptitudes sociales, je fus pris en pitié par un professeur allemand, Heinz Wismann.
Les premières années furent très difficiles, tant du fait de mon état de santé que de mes incapacités. Prenons un exemple : comment joindre mon patron pour prendre rendez-vous avec lui ? Par email, câest compliqué ; il ne répond pas forcément, étant fort sollicité par ailleurs. Il ne mâavait pas donné son numéro de téléphone, parce quâil pensait que cela circulait entre étudiants, ou quâon sâarrangeait pour le trouver. De toute manière, même si jâavais eu son numéro de téléphone, pour moi il était impensable à lâépoque â en 2003, 2004, 2005, voire 2006 â de téléphoner à quelquâun. Le déranger. Lui demander un service. Et quand je réussissais, au bout de quelques années, à prendre mon courage à deux mains et Ã
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