Je Suis à L'Est !
gouvernement lui-même, qui vient du persan divân , qui désigne lâÅuvre complète dâun poète. Lâintéressant est que le persan connaît un terme phonétiquement proche, divâne , qui veut dire « fou ». Me revoilà à la maison, comme on dit en tchèque. à ceci près que jâen étais précisément privé. Sans divan, pire que sans papier.
Une précision peut être apportée pour la suite du récit. Jâai éprouvé, quasiment dès mes premières années, un certain intérêt, quoique rarement dominant, pour la psycho. Jâai lu plusieurs bouquins, écumé les rayons correspondants des bibliothèques municipales. Je ne sais pas quelle était la réaction des bibliothécaires voyant un gamin emprunter des manuels de psychiatrie et neurologie ; je nây prêtais aucune attention. Mon intérêt avait connu quelques coups dâarrêt, par exemple ce jour, en Allemagne, où jâavais vu, dans la liste des maladies mentales dressée par un vieux livre, le fait de lire compulsivement des manuels de psycho. Jâavais lu également, et aimé, quelques témoignages de gens passés par les asiles. Lâavenir dure longtemps , du philosophe Louis Althusser, avait été mon livre de chevet, comme on dit : je le lus à plusieurs reprises au cours de mon adolescence, aimant beaucoup son style rédactionnel, sa teneur dramatique hors du commun. Dâautres ouvrages analogues allaient suivre, notamment dans les dernières phases de ma thérapie, quand je pouvais à nouveau lire. Je nâai, hélas, découvert Artaud que sur le tard. Encore aujourdâhui â cela peut paraître incompréhensible, voire stupide de ma part â, cela mâintéresserait de travailler dans les hôpitaux psychiatriques. Fantaisies irréalistes sans doute, eu égard à mes contraintes.
Pourtant, malgré toutes les déconvenues que jâai connues, je garde un attachement à ce domaine, et à ses multiples thématiques absolument passionnantes, humainement et intellectuellement.
Dans les premiers temps de ma thèse, luttant encore contre les neuroleptiques (lire une page banale peut être lâexploit de la semaine avec certains produits), jâai lu un certain nombre dâouvrages de Michel Foucault. Foucault nâétait pas du tout médecin, ni psychiatre, ni rien, mais il était mû par cette curiosité que jâavais moi aussi, à une bien moindre mesure, tout en ayant pu la satisfaire en partie au moins.
La difficulté pour moi, et la cruelle déception, est que mon parcours psy ne mâavait absolument pas aidé à découvrir la psychiatrie telle que je lâimaginais. Quand vous êtes patient ou client dâun psychiatre, vous ne pouvez ni lâobserver ni le questionner. Cela a donné lieu à nombre de malentendus durant ma thérapie. Jâai dû continuer mes découvertes seul, en cherchant sur Internet le nom du Solian, puis des produits qui lui ont été adjoints. Et je me suis retrouvé, subitement, en quelques jours, dans un univers qui était relativement habituel, câest-à -dire un univers où le soleil se lève, se couche, mais mentalement asilaire. Pas réellement lâasile au sens physique ; plutôt son ersatz mental. Je me préparais à lâélectrochoc â au sens premier, câest-à -dire que bien sûr jâavais en tête tous les récits que jâavais lus de ceux qui étaient passés par là , et je mâattendais, par exemple, à trouver dans lâun des cabinets que je fréquentais la fameuse serviette imbibée dâeau salée que lâon mettait entre les dents avant lâélectrochoc.
Grâce à Internet, grâce à une foule dâindices, jâavais subitement nombre de preuves que jâétais fou à lier. Réflexion faite, cela ne me paraissait pas tellement surprenant ; dâune part parce que je savais que jâétais complètement bizarre depuis toujours, et dâautre part parce que jâavais vu dans dâautres témoignages, chez Althusser notamment, quâon pouvait devenir fou du jour au lendemain.
Jâavais lu dans mes documentations sur les maladies en question que beaucoup, après un début un peu timide, prenaient de
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